Accident de Fukushima Daiichi : Evaluation des conséquences environnementales et dosimétriques au Japon dues aux rejets radioactifs émis depuis le 12 mars 2011
1 – Que sait-on des rejets radioactifs émis depuis le 12 mars 2011 ?
L’IRSN n’a pas de données de mesure directe sur la composition et l’ampleur des rejets radioactifs, mais dispose :
- d’informations techniques sur les installations accidentées qui permettent d’évaluer leur état de dégradation ;
- de résultats de mesures du débit de dose ambiant effectuées sur le site, qui donnent une information sur les épisodes de rejet ;
- de résultats de mesures dans l’environnement, permettant d’identifier les principaux éléments radioactifs rejetés.
L’interprétation de ces informations a permis à l’IRSN d’élaborer des scénarios probables de dégradation des 3 réacteurs depuis le 12 mars. En fonction des informations nouvelles reçues par l’IRSN, l’estimation de ces rejets est périodiquement mise à jour.
Pour en savoir plus : Evaluation de la radioactivité rejetée par la centrale de Fukushima Daiichi (Fukushima I) jusqu’au 22 mars 2011
Selon les estimations de l’IRSN, les principaux éléments radioactifs rejetés au cours des différents épisodes de rejet entre le 12 et le 23 mars seraient :
- des gaz rares (éléments radioactifs chimiquement peu réactifs, restant dans l’atmosphère sans se déposer au sol), notamment le xénon 133 dont la période radioactive est de 5,3 jours ;
- des éléments volatils, principalement des isotopes radioactifs de l’iode, du césium radioactif, du tellure radioactif. Ces éléments forment de fines particules en suspension dans l’air (aérosols) qui se déposent progressivement sur les surfaces au sol au fur et à mesure de leur dispersion dans l’air.
Les résultats de mesure dans l’environnement dont dispose l’IRSN, venant du Japon, confirme la présence principalement :
- d’iode 131 (période radioactive de 8 jours), d’iode 132 (période radioactive de 2,3 heures) et d’iode 133 (période radioactive de 20,8 heures) ;
- de tellure 132 (période radioactive de 3,2 jours) dont la décroissance radioactive produit de l’iode 132, ainsi que du tellure 129m (période radioactive de 33,6 jours) associé à du tellure 129 de période plus courte (1,16 heures) ;
- de césium 137 (période radioactive de 30 ans) et de césium 134 (période de 2,1 ans).
2 – La dispersion des rejets radioactifs dans l’atmosphère à l'échelle régionale
En fonction des observations météorologiques disponibles et des prévisions fournies par Météo France, l’IRSN réévalue périodiquement, à l’aide de ses modèles numériques, la dispersion dans l’air des produits radioactifs rejetés depuis le 12 mars par la centrale de Fukushima. Ces évaluations concernent la zone proche de la centrale (50 km autour du site) ainsi qu’une zone plus large couvrant l’ensemble du Japon et sa région proche.
La carte ci-dessous montre le résultat de la simulation la plus récente effectuée par l’IRSN, pour les rejets radioactifs estimés entre le 12 et le 26 mars. Cette simulation a été appliquée au césium 137, choisi comme élément représentatif de la dispersion du panache radioactif. Les résultats de cette modélisation sont exprimés en becquerels de césium 137 par mètre cube d’air (Bq/m3).
Simulation du 22 mars 2011, pour des rejets entre le 12 et le 26 mars 2011
Cette modélisation effectuée à l’échelle du Japon montre que le panache s’est dirigé dans des directions qui ont varié au cours du temps : d’abord vers le nord-est jusqu’au 14 mars, ensuite vers le sud et le sud-ouest, en direction de Tokyo, le 15 mars, puis vers l’est, en direction de l’océan Pacifique. A partir du 20 mars et au cours des jours suivants, le panache radioactif tend à se diriger à l’intérieur des terres japonaises de façon changeante, notamment en direction de Tokyo (surtout le 23 mars) mais aussi vers le nord-ouest. Le panache devrait à nouveau se diriger vers l’est à partir du 25 mars.
L’IRSN a comparé les résultats de cette simulation avec les résultats des mesures de la contamination de l’air effectuées à Tokyo présentés dans le graphique ci-dessous pour le césium 137 et l’iode 131. Ils sont du même ordre de grandeur que les valeurs mesurées dans cette ville.
3 - Conséquences des rejets dans l'environnement au Japon
En fonction des conditions météorologiques, les éléments radioactifs rejetés dans l’air lors de l’accident se dispersent sur les terres et les océans en formant un panache radioactif. Les éléments radioactifs sous forme de particules se déposent progressivement sur les différentes surfaces au sol, notamment sur les feuilles de plantes cultivées, sur l’herbe des pâtures, sur l’eau stagnante à l’air libre ou l’eau des rivières, sur les milieux urbains…
Les légumes à feuilles (épinards, salades, poireaux…) sont particulièrement sensibles à ces retombées radioactives et sont rapidement contaminés après l’accident. Les résultats des mesures effectuées au Japon, à plus de 100 km de la centrale de Fukushima, sur cette catégorie de produit le confirment :
Date de prélèvement | Lieu - Type de légume | Iode 131 | Césium 137 et 134 |
---|---|---|---|
18 mars 2011 |
Préfecture de Tochigi - Epinards |
2100 à 54100 Bq/kg |
121 à 1931 Bq/kg |
19 mars 2011 |
Préfecture de Tochigi - Epinards |
3200 à 5700 Bq/kg |
460 à 790 Bq/kg |
Préfecture d’Ibaragi - Epinards |
1900 et 11000 Bq/kg |
71 et 586 Bq/kg |
|
Préfecture de Gunma - Epinards |
2080 et 2630 Bq/kg |
268 à 310 Bq/kg |
Ces résultats indiquent que pour l’iode 131 dans les épinards, le niveau maximal admissible au Japon pour la commercialisation et la consommation des denrées (2000 Bq/kg) sont systématiquement dépassés dans ces territoires. Il en est de même pour les césiums radioactifs, mais dans une moindre mesure (niveau maximal admissible au Japon de 500 Bq/kg). Les poireaux, qui offrent une surface foliaire plus faible au contact de l’air ambiant, semblent moins contaminés.
La contamination des légumes à feuilles est certainement plus importante en se rapprochant du site de Fukushima, en fonction de l’importance des retombées radioactives.
D’une manière générale, la contamination de ces légumes peut rester importante dans les prochains jours. Au cours des semaines à venir, si de nouveaux rejets importants ne se produisent pas, une nette diminution de la contamination des légumes à feuilles devrait être observée, à cause de la décroissance radioactive des radionucléides à vie courte (iode 131) et de l’effet de la croissance végétale qui dilue la contamination initiale dans la masse de la plante.
De même, les vaches consommant de l’herbe ou du fourrage contaminé produisent du lait contaminé. Les mesures dont dispose l’IRSN pour le lait de vache indiquent :
- Dans la préfecture de Fukushima : 4 Bq/L à 5200 Bq/L d’iode 131, de 4,2 Bq/L à 210 Bq/L de césium 137 et de 5,4 Bq/L à 210 Bq/L de césium 134 (le 19 mars).
- Dans la préfecture de Tochigi : 44 Bq/L et 57 Bq/L d’iode 131.
Comme dans le cas des légumes à feuilles, cette contamination pourrait diminuer dans les semaines et mois à venir, en l’absence de nouveaux rejets radioactifs, et ce d’autant plus rapidement si du fourrage non contaminé est donné au bétail.
Pour connaître l’étendue des zones où une contamination des denrées agricoles pourrait être observée à court ou moyen terme, une cartographie des dépôts radioactifs est nécessaire.
Actuellement, l’IRSN ne dispose pas d’informations suffisantes pour établir une cartographie précise de ce dépôt. En effet, la répartition de ces dépôts radioactifs peut être très variable en fonction des trajectoires locales du panache radioactif, des concentrations dans ce panache et des pluies qui peuvent augmenter considérablement le dépôt (jusqu’à un facteur 10). A titre d’exemple, à Tokyo, un dépôt cumulé d’iode 131 dépassant 3000 Bq/m2 a été relevé. Un tel dépôt, s’il se produit sur des eaux de surface utilisées pour l’alimentation en eau potable, peut expliquer la présence d’iode 131 mesurées dans certaines eaux du robinet.
4 – Estimation des doses susceptibles d’être reçues par les personnes exposées au panache radioactif au Japon
L’IRSN a estimé les doses susceptibles d’être reçues par une personne exposée au panache radioactif, en supposant qu’elle séjourne sans protection (à l’extérieur) dans la même localité du 12 au 22 mars. Pour ces calculs de dose, l’IRSN a considéré un enfant d’un an qui est le plus sensible à l’iode 131.
Les simulations qui suivent montrent l’évolution des doses au cours du temps, sur la période de simulation. Si de nouveaux rejets devaient se produire dans les prochains jours, ces doses pourraient augmenter en l’absence de protection des personnes exposées.
Doses corps entier susceptibles d’être reçues par un enfant de 1 an en l’absence de protection pendant les rejets
Période de rejets considérée : du 12 au 22 mars 2011.
En cas d’accident, les valeurs de doses corps entier à partir desquelles des actions de protection sont recommandées sont de 10 mSv pour la mise à l’abri et de 50 mSv pour l’évacuation. En dessous de 10 mSv, le risque pour la santé est jugé suffisamment faible pour ne pas rendre nécessaires ces actions de protection. A titre de comparaison, la dose annuelle moyenne reçue en France due à la radioactivité naturelle et aux expositions médicales est de 3,7 mSv.
Doses à la thyroïde susceptibles d’être reçues par un enfant de 1 an en l’absence de protection pendant les rejets
Période de rejets considérée : du 12 au 22 mars 2011.
En cas d’accident, l’ingestion d’iode stable est recommandée au Japon pour des valeurs de doses à la thyroïde de 100 mSv.