Gestion radiologique des territoires contaminés à la suite de l’accident de Fukushima : l’IRSN rend public son rapport d’analyse de la situation
Dès le 21 mars 2011, l’IRSN a conclu de l’observation du déroulement de l’accident que les rejets radioactifs étaient « très importants » au Japon, et pouvaient être de l’ordre de grandeur d’un dixième de ceux survenus à Tchernobyl.
L’IRSN publie son rapport d’analyse de la situation radiologique au Japon sur la base des informations publiées par les autorités japonaises.
Télécharger le rapport de l'IRSN : Evaluation au 66è jour des doses externes projetées pour les personnes vivant dans la zone de retombée Nord-Ouest de l'accident nucléaire de Fukushima
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Très tôt, dès le 21 mars, l’IRSN a conclu sur la base de l’observation du déroulement de l’accident que les rejets radioactifs étaient « très importants », et pouvaient être de l’ordre de grandeur d’un dixième de ceux survenus à Tchernobyl. Cette appréciation n’a pas été démentie par la suite, et a même été corroborée par les résultats des mesures de la contamination atmosphérique à très longue distance, puis par les estimations du « terme source » retenues par les autorités japonaises.
Pendant la période concernée par ces rejets, la météorologie a été globalement favorable, les vents étant principalement dirigés vers l’océan pacifique. Toutefois, les 15 et 16 mars, ces rejets ont été orientés vers le nord-ouest du site, et, en raison à la fois des précipitations importantes ces jours là, et de très la faible altitude du panache radioactif, des dépôts radioactifs substantiels se sont produits dans un secteur de territoire s’étendant bien au-delà de la zone évacuée de 20 km autour du site, et même au-delà de la zone de mise à l’abri, entre 20 km et 30 km autour du site.
28 jours après l’accident, l’IRSN publiait une première carte proposant une estimation dosimétrique dans les territoires concernés par ces rejets. Malgré d’importantes incertitudes liées à l’époque à l’absence de résultats de mesure des dépôts radioactifs sur le terrain, cette carte montrait déjà que des mesures de gestion du risque radiologique seraient probablement nécessaires pour les populations habitant ces territoires, au-delà de la zone des 20 km.
66 jours après l’accident, soit le 16 mai, les autorités japonaises ont effectivement publié un plan d’évacuation des populations vivant dans certaines communes situées sous les rejets intervenus les 15 et 16 mars.
Cette mesure intervient notamment sur la base de la cartographie des dépôts radioactifs publiée par le ministère japonais MEXT, et de la décision de principe de retenir une valeur de 20 mSv comme limite maximale admissible de la dose externe reçue du fait de ces dépôts au cours de la première année d’exposition.
Outre le fait que certaines parties prenantes contestent le bien fondé de ces décisions, l’IRSN s’est intéressé à ce que serait l’étude d’une recommandation aux autorités françaises en pareilles circonstances, puisque telle serait bien l’une des missions de l’Institut en situation d’accident radiologique sur le territoire national, selon les textes en vigueur.
L’IRSN rend ainsi public le rapport d’analyse de la situation radiologique au Japon qu’il a établi à cette même date du 16 mai 2011, sur la base des informations publiées par les autorités japonaises. Cette situation peut se résumer de la manière suivante, les conséquences de l’exposition de la population aux rejets radioactifs étant de deux natures très différentes.
L’exposition aux iodes radioactifs à courte demi-vie
Les doses à la thyroïde qui caractérisent les conséquences de cette exposition sont acquises, par inhalation ou du fait de la consommation de denrées alimentaires contaminées (lait frais, légumes feuilles,…) pour la plus grande part dans les quelques jours suivant le rejet, en raison de la courte période de l’iode 131 (8 jours).
Les seules mesures de limitation des doses consistent en la mise à l’abri ou l’éloignement préalable des populations pouvant être situées sous le rejet, la prise d’iode stable dans un délai aussi court que possible après le rejet (au maximum 24 heures après l’exposition), et l’élimination de la chaîne alimentaire des denrées contaminées.
Dans les territoires affectés par les rejets, au nord-ouest de la centrale de Fukushima, les dépôts d’iode ont été en certains endroits très importants, pouvant dépasser 10 millions de Becquerels par mètre carré, et générer des doses à la thyroïde supérieures à 1 sievert en l’absence de mesures de protection.
En l’absence de connaissance précise des mesures de protection effectivement mises en oeuvre au-delà de la zone évacuée de 20 km, il est impossible de prédire l’impact dosimétrique de l’exposition à l’iode 131, notamment sur les enfants résidant dans ces territoires, pour lesquels le risque principal est de développer un cancer de la thyroïde dans les années qui suivent l’exposition. Il convient seulement de rappeler que, deux mois après l’accident, cette question ne relève plus de la gestion du risque d’exposition, mais de la connaissance scientifique à établir des doses effectivement reçues, à partir des statistiques que fourniront les mesures individuelles effectuées.
L’exposition au césium (134 et 137) et aux autres composés radioactifs volatils
Pour les habitants maintenus dans les territoires ainsi contaminés, cette exposition se traduit par une dose liée à l’irradiation externe provoquée par les dépôts dans leur environnement immédiat, à laquelle s’ajoute une dose interne résultant principalement de la consommation éventuelle de produits alimentaires contaminés. Ces doses sont très faibles si elles sont rapportées à une journée d’exposition, mais leur accumulation sur plusieurs années doit être prise en compte pour la gestion du risque sanitaire.
Des mesures de gestion peuvent permettre de réduire ces doses :
- en éloignant les populations des zones les plus contaminées
- en imposant des restrictions à l’exploitation économique de ces territoires
- si les populations sont (pour partie) maintenues sur place, en décontaminant l’environnement des lieux de séjour et de transit fréquent
- en surveillant les produits agricoles pour éliminer de l’alimentation les denrées dépassant un certain seuil de contamination.
Ces mesures se caractérisent toutes par des coûts élevés, à la fois en termes économiques et psycho-sociaux ou affectifs, voire sanitaires (liés par exemple à un déplacement important de populations). L’enjeu des décisions que doivent prendre les autorités responsables est d’apprécier la justification des doses qui resteront supportées in fine, et durablement par une partie de la population, au regard de l’acceptabilité pour la collectivité nationale toute entière des coûts associés aux mesures de protection radiologique.
Le rapport publié par l’IRSN analyse la situation autour du site de Fukushima-Daiichi au regard des informations disponibles qui permettent d’estimer les doses qu’il serait possible d’éviter aux habitants de certains territoires en fonction des mesures de gestion pouvant être retenues, ainsi que du calendrier d’exécution effective de ces mesures.
Il présente aussi une comparaison avec la situation des populations ayant vécu dans les territoires significativement contaminés de Russie, Biélorussie et Ukraine après l’accident de Tchernobyl. Cette comparaison est en effet pertinente car les niveaux de contamination élevés rencontrés au Japon dans la zone de 20 km et au-delà sont comparables, bien qu’affectant des territoires moins vastes et des populations moins importantes, à ceux constatés dans certains territoires de Russie, Biélorussie et Ukraine.
En conclusion, compte tenu de la composition présumée des rejets et de leur répartition géographique et de l’importance des populations concernées, ce rapport indique que l’IRSN proposerait de prendre en compte un seuil de contamination de 600 000 Bq/m² pour les césiums 137 et 134 (correspondant à une dose externe maximale de 10 mSv pour la première année) comme limite au-delà de laquelle une évacuation du territoire serait nécessaire. Ces mesures seraient à compléter par une surveillance active de la qualité radiologique de l’alimentation (respect des normes) et par un apprentissage des pratiques d’autoprotection vis-à-vis de l’exposition radiologique résiduelle (pratiques agricoles, pratiques alimentaires). Il est à noter que de telles recommandations s’inscriraient dans la logique des doctrines en cours d’élaboration au plan national dans le cadre du CODIR-PA.
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La première carte ci-dessous, extraite du rapport IRSN DRPH 2011/010, traduit l’ampleur des territoires concernés dans la région de la centrale nucléaire de Fukushima. La seconde carte cidessous, extraite du même rapport, représente les zones d’évacuation planifiées ou en préparation établie par les autorités japonaises compétentes dont la « Nuclear and Industrial Safety Agency » (NISA) et le MEXT.