Etude BACCARAT (BreAst Cancer and CArdiotoxicity induced by RAdioTherapy) : Risque de cardiotoxicité précoce après radiothérapie pour un cancer du sein
Le cancer du sein est le type de cancer le plus fréquent chez les femmes, avec près de 60 000 nouveaux cas diagnostiqués chaque année en France. Les accomplissements des vingt dernières années en termes de traitement des formes précoces de cancer du sein sont majeurs. Ces traitements, parmi lesquels la radiothérapie, peuvent néanmoins entraîner des effets secondaires. Le cœur, en raison de sa position anatomique dans la région thoracique, est un organe à risque pour la radiothérapie du cancer du sein, et il a été montré que la radiothérapie était associée à un risque accru, à long terme (> 5 - 10 ans après le traitement), de complications cardiovasculaires (insuffisance cardiaque, maladies coronariennes, infarctus du myocarde, etc.) et in fine de décès cardiovasculaire (Darby et al., 2013 ; Jacob et al., 2016a). Cependant, bien avant l'apparition d'événements cardiaques cliniquement significatifs, il y a aujourd'hui un manque de connaissances sur les formes précoces de cardiotoxicité induite par la radiothérapie du sein qui peuvent apparaître chez des patientes asymptomatiques. Dans ce contexte, le projet BACCARAT (pour BreAst Cancer and CArdiotoxicity induced by RAdioTherapy) a été lancé par l'IRSN en 2015 pour contribuer de façon directe à la consolidation du système de radioprotection pour les patients et à la prise en charge précoce des effets secondaires.
En s'appuyant sur une cohorte prospective d'une centaine de patientes traitées par radiothérapie pour un cancer du sein et suivies pendant deux ans, l'étude BACCARAT vise à améliorer les connaissances sur les formes précoces d'atteintes cardiaques en s'appuyant sur l'évaluation de la fonction cardiaque et de l'atteinte des artères coronaires, combinée à l'évaluation d'un panel de biomarqueurs circulants potentiellement impliqués dans la cardiotoxicité et à une dosimétrie précise du cœur et de ses sous-structures (Jacob et al., 2016b).
L'étude BACCARAT a inclus prospectivement des patientes atteintes d'un cancer du sein, âgées de 40 à 75 ans, traitées avec une radiothérapie (RT) conformationnelle adjudante entre 2015 et 2017 à la Clinique Pasteur de Toulouse, sans indication de chimiothérapie et suivies pendant deux ans après la RT. Une évaluation dosimétrique individuelle des doses absorbées par le cœur entier, le ventricule gauche et les artères coronaires a été réalisée. Afin d'évaluer des signes précoces de cardiotoxicité, le suivi de chaque patientes comprenait :
- la quantification des dysfonctions cardiaques infracliniques mesurées par échocardiographies (échographie 2D-strain) avant la RT, 6 mois après la RT et 24 mois après la RT ;
- l'évaluation des modifications structurelles des plaques athéromateuses au niveau des artères coronaires évaluées à partir de coroscanners avant la RT et 24 mois après la RT ;
- la mesure de l'évolution des concentrations d'un panel de biomarqueurs plasmatiques circulants potentiellement impliqués dans la cardiotoxicité avant la RT, en fin de RT, 6 mois après la RT et 24 mois après la RT.
Parmi les patientes incluses dans la cohorte, la dose moyenne au cœur était de 0,61 Gy chez les 19 patientes traitées pour un cancer du sein droit et de 2,91 Gy chez les 94 patientes traitées pour un cancer du sein gauche. L'analyse précise de la dosimétrie cardiaque a permis d'observer la grande hétérogénéité de l'exposition en fonction des sous-structures cardiaques, mais également les limites de la dose moyenne absorbée par le cœur comme indicateur pertinent de la dose au ventricule gauche et aux artères coronaires (Jacob et al., 2019). Avec un suivi intermédiaire de 6 mois, l'analyse des données échocardiographiques a permis d'observer l'absence d'impact de la RT sur le paramètre classique de mesure de la fonction cardiaque qu'est la fraction d'éjection du ventricule gauche (FEVG), alors qu'une dysfonction infraclinique du ventricule gauche caractérisée par une diminution >10 % de l'indice de contractilité myocardique (longitudinal strain) était observée chez près de 47 % des patientes, en lien avec la dose moyenne absorbée par le cœur et plus particulièrement le ventricule gauche (OR/1Gy = 1,14 ; intervalle de confiance à 95% = [1,02-1,29]) (Walker et al., 2019). Les données de suivi à 24 mois ainsi que les biomarqueurs (marqueurs classiques d'atteintes cardiaques : Protéine C réactive, troponine I, B-type natriuretic peptide (NT-Pro BNP), beta2-Microglobuline ; cytokines inflammatoires : Interleukine 6, Interleukine 8, Interleukine 18, TNF-α ; marqueurs d'activation et dysfonction endothéliale : sVCAM-1, s-ICAM-1, PECAM-1, E-selectin, P-selectin, vWF, PAI-1, Fibrinogene , Thrombomoduline, TGF-β1) sont en cours d'analyse.
Cette étude de recherche clinique BACCARAT combinant trois axes (imagerie cardiaque, radiobiologie et dosimétrie) est une approche intégrée et originale qui permettra un gain de connaissance sur la cardiotoxicité des protocoles de radiothérapie actuels durant les mois et premières années qui suivent le traitement et permettra d'améliorer ainsi la prise en charge des patientes.
Dans la continuité de cette démarche de recherche en épidémiologie clinique pluridisciplinaire dans le domaine de la cardiotoxicité précoce des radiothérapies pour le cancer du sein, l'IRSN participe au projet européen MEDIRAD, en particulier à l'étude EARLY-HEART initiée en 2017 (Walker et al., 2018). Cette étude prospective multicentrique, coordonnée par le Laboratoire d'épidémiologie des rayonnements ionisants de l'IRSN, intègre une partie des patientes de l'étude BACCARAT, mais également des patientes hollandaises, allemandes, espagnoles et portugaises. En plus des échographies cardiaques et coroscanners réalisés de façon similaire au protocole BACCARAT, des IRM cardiaques sont également réalisées. Avec près de 250 patientes, l'étude MEDIRAD EARLY-HEART aura une puissance statistique accrue par rapport à BACCARAT pour étudier plus précisément les relations entre doses cardiaques et changements cardiaques au cours des 24 mois suivant la radiothérapie du sein.
Le protocole BACCARAT a reçu l'avis favorable du Comité de Protection des Personnes - CPP SOOM 4, le 3 aout 2015 (ID: CPP2015/66/2015-A00990-69) et de l'Agence Nationale de Sécurité du Médicaments – ANSM le 7 juillet 2015 (Reference: 150873B-12). Toutes les patientes incluses dans l'étude ont donné leur consentement éclairé. La confidentialité des données de l'étude BACCARAT a fait l'objet d'une déclaration CNIL dans le cadre de la méthodologie de référence MR-001 qui encadre les traitements comprenant des données de santé et présentant un caractère d'intérêt public, réalisés dans le cadre de recherches nécessitant le recueil du consentement de la personne concernée ou celui de ses représentants légaux (déclaration 1893778 du 6 Octobre 2015).
Financements : IRSN, Fédération Française de Cardiologie, Electricité de France, H2020 Euratom
Références
- Darby SC, Ewertz M, McGale P, Bennet AM, Blom-Goldman U, Brønnum D, Correa C, Cutter D, Gagliardi G, Gigante B, Jensen MB, Nisbet A, Peto R, Rahimi K, Taylor C, Hall P. Risk of ischemic heart disease in women after radiotherapy for breast cancer. N Engl J Med 2013; 368(11):987-998.
- Jacob S, Ferrières J. Breast cancer radiotherapy: A case of double jeopardy. Arch Cardiovasc Dis 2016a; 109(11):587-590.
- Jacob S, Pathak A, Franck D, Latorzeff I, Jimenez G, Fondard O, Lapeyre M, Colombier D, Bruguiere E, Lairez O, Fontenel B, Milliat F, Tamarat R, Broggio D, Derreumaux S, Ducassou M, Ferrières J, Laurier D, Benderitter M, Bernier MO. Early detection and prediction of cardiotoxicity after radiation therapy for breast cancer: the BACCARAT prospective cohort study. Radiat Oncol 2016b; 11:54.
- Jacob S, Camilleri J, Derreumaux S, Walker V, Lairez O, Lapeyre M, Bruguière E, Pathak A, Bernier MO, Laurier D, Ferrieres J, Gallocher O, Latorzeff I, Pinel B, Franck D, Chevelle C, Jimenez G, Broggio D. Is mean heart dose a relevant surrogate parameter of left ventricle and coronary arteries exposure during breast cancer radiotherapy: a dosimetric evaluation based on individually-determined radiation dose (BACCARAT study). Radiat Oncol 2019; 14(1):29.
- Walker V, Lairez O, Fondard O, Pathak A, Pinel B, Chevelle C, Franck D, Jimenez G, Camilleri J, Panh L, Broggio D, Derreumaux S, Bernier MO, Laurier D, Ferrières J, Jacob S. Early detection of subclinical left ventricular dysfunction after breast cancer radiation therapy using speckle-tracking echocardiography: association between cardiac exposure and longitudinal strain reduction (BACCARAT study). Radiat Oncol 2019; 14(1):204.
- Walker V, Crijns A, Langendijk J, Spoor D, Vliegenthart R, Combs SE, Mayinger M, Eraso A, Guedea F, Fiuza M, Constantino S, Tamarat R, Laurier D, Ferrières J, Mousseaux E, Cardis E, Jacob S. Early Detection of Cardiovascular Changes After Radiotherapy for Breast Cancer: Protocol for a European Multicenter Prospective Cohort Study (MEDIRAD EARLY HEART Study). JMIR Res Protoc 2018; 7(10):e178.