Toxicologie de l’iode stable : étude in vivo des effets biologiques associés à une prophylaxie répétée à l’iodure de potassium
Dalila Lebsir a soutenu sa thèse le 16 novembre 2018 à l'IRSN à Fontenay-aux-Roses.
À l’issue d’un accident nucléaire, les produits de fission de l’uranium tels les iodes radioactifs sont dispersés dans l’environnement. L’homme est susceptible d’être exposé à ces éléments majoritairement via l’inhalation d’air et / ou l’ingestion d’aliments contaminés. L’iode 131 est connu pour être responsable de l’augmentation de l’incidence du cancer de la thyroïde. Une des contremesures est l’ingestion de dose unique de comprimés d’iodure de potassium (KI) à fin de saturer la glande thyroïde par de l’iode stable et d’éviter ainsi le passage de l’isotope radioactif. Les scénarios de rejets réitérés d’iodes radioactifs lors des deux accidents majeurs Tchernobyl et Fukushima ont mis en évidence les faiblesses de cette mesure, des prises répétées de KI s’avèrent nécessaires. Dans la littérature on dispose de peu de données cliniques et précliniques sur la prise répétée d’iode stable, quant à son usage ça n’a pas été décrit. La doctrine iode ainsi que l’autorisation de mise sur le marché (AMM) du KI envisage seulement la prise unique à renouveler exceptionnellement chez la population adulte. L’iode est connu pour être un élément clé de la fonction thyroïdienne, en jouant un double rôle à la fois de substrat et de régulateur de la thyroïde. Si sa présence est indispensable à la formation des hormones thyroïdiennes, son excès exerce un effet inhibiteur transitoire de cette synthèse connu sous le nom de l’effet Wolff-Chaikoff. Les hormones thyroïdiennes impactent le développement et la fonction de presque tous les organes du corps (cerveau, cœur, os...), la moindre variation de leurs niveaux peut impacter l’homéostasie du corps. D’où la difficulté de l’application de la prise répétée du KI en absence de données biologiques et toxicologiques.
Pour combler ses lacunes et trouver une solution en cas d’exposition réitérée, le programme de recherche Français PRIODAC : PRophylaxie répétée par l’IODe stable en situation ACcidentelle (ANR/RSNR), dont fait partie cette thèse vise à exploiter les modalités d’administration répétée du KI chez toutes les tranches d’âge (in utero, adulte et âgé), et d’évaluer les conséquences biologiques sur les grandes fonctions physiologiques de l’organisme. Trois modèles de rats Wistar ont fait l’objet de ce travail de thèse : le modèle de référence rat adulte (3 mois), les modèles à risque progéniture (exposé durant la gestation) et rat âgé (12 mois), ont reçus 8 prises consécutives de KI 1mg/kg/24h. Et les effets étaient évalués à long-terme (30 jours post-prophylaxie). Sur le modèle de référence on n’a pas eu d’impact néfaste à long-terme de la prise répétée du KI, par contre sur les modèles à risque plusieurs effets à long-terme ont été rapportés, chez la progéniture exposée in utero la coordination motrice ainsi que l’expression de quelques gènes clés du cerveau ont été négativement modifiés par le traitement. Et chez le rat âgé la biochimie urinaire, l’expression de quelques gènes clés de la fonction cardiovasculaire ainsi que le système rénine-angiotensine-aldostérone ont été significativement impactés par le traitement. En conclusion, les résultats obtenus montrent l’innocuité sur le plan toxicologique du KI administré à 1mg/kg toutes les 24h pendant 8 jours chez le modèle adulte et la nocuité de ce schéma prophylactique chez les modèles à risque in utero et âgé. Ces résultats ont été transférés à la pharmacie centrale des armées et ont servis de données d’entrée pour des études de bonne pratique de laboratoire qui à terme vont contribuer à l’évolution de la doctrine de l’iode et l’AMM du KI.