|
|
Comme l’accident de Fukushima l’a brutalement rappelé en mars 2011, la sûreté nucléaire nécessite une protection adéquate des installations contre toutes les formes d’agressions, et en particulier celles associées aux aléas naturels. Les séismes dont les conséquences peuvent affecter simultanément tous les systèmes de protection d’une installation bénéficient d’une attention toute particulière. Exploitées sur de longues périodes, les installations nucléaires ont été construites en tenant compte de ce risque, selon l’état de l’art et des connaissances au moment de leur conception, et en intégrant des marges de sécurité. Le retour d’expérience de l’accident japonais, et les grands rendez-vous que sont les réexamens décennaux des installations, donnent l’occasion de vérifier si ces dispositions retenues à la conception (niveau d’aléas et marges) restent suffisantes, au regard de l’évolution des connaissances scientifiques. Dans le même temps, l’IRSN joue au titre de sa mission de recherche, un rôle moteur dans le progrès de
ces connaissances afin de porter la prévention des risques au meilleur niveau.
Évaluer l’aléa sismique pour une installation nucléaire consiste à quantifier les mouvements sismiques susceptibles d’être transmis à l’installation, là où elle est implantée. Cette quantification est nécessaire pour concevoir l’installation et pour vérifier sa sûreté. L’aléa sismique peut être évalué selon deux types d’approches, le cas échéant mises en œuvre de manière complémentaire : une approche déterministe et une approche probabiliste(1). Quelle que soit la méthode, il faut connaître les séismes survenus dans le passé et les failles susceptibles d’en générer dans la région d’étude. À partir des caractéristiques des séismes possibles dans une région, les mouvements du sol qu’ils produiraient sur un site spécifique sont estimés à l’aide d’équations de prédiction. Ces dernières sont développées à partir des bases de données d’enregistrements de mouvements du sol existant pour l’Europe et d’autres régions du monde. Ces calculs sont complétés par des informations sur les propriétés des couches géologiques ; celles-ci peuvent en effet modifier les mouvements sismiques à la surface du sol, phénomène communément appelé « effet de site ». Une fois définis par les spécialistes de l’aléa sismique, les mouvements de sol sont utilisés par les ingénieurs pour évaluer le comportement des structures et des équipements qui y seraient soumis et les conséquences associées. L’IRSN mène ainsi des recherches sur l’aléa pour disposer des connaissances nécessaires à l’évaluation du risque.
|
Activité tectonique quaternaire |
|
L’IRSN est l’un des spécialistes reconnus dans le domaine des séismes et des failles actives ; il est co-producteur, avec le BRGM et EDF, de SISFRANCE (www.sisfrance.net), base de données nationale de la sismicité historique dont la constitution a démarré il y a plus de trente ans, et dont l’actualisation se poursuit aujourd’hui encore. Ainsi, le BERSSIN a récemment participé à l’étude des failles au voisinage de l’épicentre estimé d’un séisme historique important (2) présumé lié au système de failles dit « Nord-Artois » (Manche), et plus précisément à la faille de Sangatte, dont la géométrie et l’activité tectonique au quaternaire étaient mal connues. Une équipe de chercheurs, menée par l’Observatoire royal de Belgique, a collecté de nombreuses données de sismique réflexion GLO ainsi que des données bathymétriques GLO sur une étendue de 300 km² lors de plusieurs campagnes en mer. L’analyse des couches géologiques fournies par les profils reconstitués sur une tranche de 100 m au-dessous du fond de la mer et les corrélations entre les différents types de données acquises ont permis de construire une carte géologique et structurale détaillée de la zone. L’activité tectonique quaternaire du système de faille étudié a ainsi pu être évaluée. Si l’origine précise du tremblement de terre de 1580 n’a pu être déterminée en raison de limites inhérentes à ces données, l’étude a montré que des séismes d’une magnitude GLO égale ou supérieure à celle de ce séisme historique semblent avoir été extrêmement rares dans cette zone. Elle a par ailleurs mis en évidence la présence d’un réseau de failles complexe, susceptibles de générer des séismes de magnitude allant jusqu’à 7 compte tenu de sa géométrie et de sa taille.
|
 |
|
|
|
|
Section d’un profil de sismique réflexion monocanal (ligne rose sur la carte) permettant l’imagerie des failles dans le détroit
du Pas-de-Calais (Manche). La ligne rouge indique le décalage des strates du Wealdien
(étage du Crétacé inférieur) par la faille F8.
La ligne pointillée orange indique la base
des dépôts quaternaires préservés dans
des paléo-chenaux et paléo-bassins.
© David Garcia-Moreno |
|
|
|
|
|
|
Équations de propagation |
|
Outre la connaissance des failles à l’origine des séismes, le calcul de l’aléa doit aussi prendre en compte l’effet des propriétés mécaniques du sol sur lequel sont construits les bâtiments concernés. Certaines configurations géologiques peuvent en effet modifier significativement les mouvements de sol, en allonger la durée et en augmenter l’amplitude, comme ce fut notamment le cas lors du séisme qui a dévasté la région de Mexico en 1985. Pour évaluer cet « effet de site », de nombreuses études ont été réalisées sur la propagation des ondes sismiques, notamment dans les bassins sédimentaires. Afin d’évaluer le mouvement sismique en surface dans un bassin sédimentaire en tenant compte de la topographie environnante, l’une des solutions consiste à réaliser des simulations numériques de la propagation des ondes sismiques, la difficulté étant de définir la méthode numérique la plus adaptée pour résoudre les équations de propagation. Une équipe de chercheurs à laquelle l’IRSN était associé, a testé les résultats obtenus par une méthode aux éléments finis spécifique (Galerkin discontinue) et par une méthode aux différences finies pour résoudre ces équations, dans une topographie proche de la réalité et en tenant compte des pertes d’énergie non élastiques (par frottement) dans le milieu. La comparaison des simulations obtenues par les deux méthodes a d’abord été réalisée pour une configuration géologique fictive comportant sept couches sédimentaires de propriétés mécaniques différentes ; la très bonne concordance entre signaux sismiques simulés a permis de vérifier la pertinence des méthodes. La même opération a été réalisée avec une représentation en deux dimensions du bassin sédimentaire de Nice, en tenant compte des reliefs environnants. Plusieurs modèles représentant le bassin ont été testés, puis les simulations obtenues ont été comparées avec des enregistrements de séismes réels : les modèles représentant le bassin en couches hétérogènes aboutissent à des valeurs de l’amplification et de la fréquence des ondes sismiques proches de celles observées à partir des enregistrements. Les simulations réalisées montrent une amplification importante des ondes sismiques dans le bassin de Nice, avec une réverbération sur les côtés liée au piégeage des ondes dans le bassin. Une bonne connaissance de la géométrie et des propriétés du sol en profondeur est donc nécessaire dans ce type de configuration géologique pour assurer une meilleure évaluation de l’aléa sismique.
|
|
 |
|
|
|
|
En haut, modèle 2D représentant le bassin de Nice en couches hétérogènes le long de la coupe passant par NLIB. En bas, amplification des ondes sismiques calculée par simulation numérique de la propagation des ondes sismiques dans ce modèle.
© INRIA/Fabien Peyrusse |
|
|
|
|
|
|
Sélectionner les enregistrements adéquats |
|
Pour ensuite évaluer les effets de l’aléa sur les bâtiments, les ingénieurs du génie civil effectuent usuellement un calcul linéaire où les structures sont modélisées par des ressorts : la réponse des bâtiments est établie pour l’accélération maximale attendue, et ce pour toutes les fréquences de résonance possibles de bâtiments. Cette méthode permet de savoir à quel niveau de sollicitation les bâtiments sont endommagés compte tenu de leur fréquence propre. Ce type de calcul utilise directement la description du mouvement sismique issue du calcul de l’aléa. Une approche alternative consiste à réaliser des calculs non linéaires. Ceux-ci permettent d’étudier l’effet du séisme sur les structures pendant toute la durée de l’évènement et non plus seulement au moment de l’accélération maximale. Il est nécessaire pour cela de disposer d’enregistrements de l’accélération du sol en fonction du temps : en effet, pour ce type d’analyse, d’autres facteurs tels que la durée ou l’énergie du séisme peuvent influer sur le niveau d’endommagement des structures. Toute la question est de fournir aux ingénieurs en charge du calcul des structures les enregistrements adéquats qui leur permettront d’étudier l’endommagement. Il faut pour cela les sélectionner dans les bases de données d’accélérogrammes(3).
Pour les aider dans ce travail, les chercheurs de l’IRSN ont développé un algorithme de classification « naïve bayésienne » permettant de sélectionner les mouvements sismiques en fonction de leur impact sur un modèle simplifié de structure, à savoir un oscillateur à un degré de liberté (comportement décrit par le modèle élasto-plastique de Takeda). Ce modèle a été soumis à 6 373 mouvements sismiques, décrits chacun par un ensemble d’indicateurs représentatifs des propriétés du signal (énergie, amplitude, durée) produisant des effets classés selon trois types : intact, légèrement endommagé ou ruiné. Les mouvements et leurs effets ont été utilisés comme données d’entrée de l’algorithme statistique qui réalise la classification « naïve bayésienne ». Son développement s’est décomposé en trois phases. Dans la phase d’apprentissage, l’algorithme a établi des règles permettant d’associer les différents paramètres descriptifs du mouvement à leurs effets sur les modèles de structures. Dans la phase de validation, les mouvements sismiques utilisés pour l’apprentissage ont été classés en fonction des effets. Dans la phase d’application, l’algorithme a été appliqué sur une autre base de données comprenant 7 000 mouvements sismiques enregistrés au Japon. La plupart des données a été correctement classée avec des pourcentages de succès variant de 70 % à 90 % en fonction du modèle de structure. Cette méthode s’avère donc permettre de sélectionner correctement et rapidement dans une base de données enregistrées, les accélérogrammes en fonction de leurs effets sur une structure.
C’est grâce à l’éclairage des différents travaux de recherche évoqués précédemment que l’IRSN est en mesure de conduire les expertises qui lui sont confiées et de vérifier que les évaluations du risque sismique produites par les exploitants sont suffisamment robustes, tout en restant réalistes, pour garantir un haut niveau de sûreté.
|
 |
|
|
|
|
Application de l’algorithme de classification « naïve bayesienne » à la base d’accélérogrammes enregistrés au Japon.
Les diagrammes représentent les distributions des différents paramètres
en fonction de l’impact sur la structure.
Distributions observées : histogrammes pleins (en gris structure intacte, en rouge structure légèrement endommagée, en bleu structure ruinée). Distributions obtenues
en appliquant l’algorithme : histogrammes vides (trait noir structure intacte, trait rouge structure légèrement endommagée, trait bleu structure ruinée).
© IRSN |
|
|
|
|
|
|
 |
Royal Observatory of Belgium, Renard Centre of Marine Geology, Vlaams Instituut voor De Zee (Belgique), Department of Earth Science and Engineering, Imperial College London (Royaume-Uni), Université Lille 1 - Lab. Géosystèmes UMR 8217, IFSTTAR, INRIA, CEREMA - DTerMed Laboratory of Nice (France), ISTerre, CEA |
|
|
|
|
Christophe Clément |
christophe.clement@irsn.fr |
Bureau d’évaluation des risques sismiques pour la sûreté
des installations – BERSSIN |
|
(1)L’approche déterministe évalue
les mouvements sismiques pour
des séismes analogues aux plus forts observés dans le passé sur la zone concernée, en postulant des hypothèses pénalisantes
pour l’installation. L’approche probabiliste consiste, elle, à explorer l’ensemble des séismes envisageables en attribuant à chacun une probabilité
de survenue puis à évaluer la probabilité de dépasser un niveau de mouvement
de sol donné. |
(2)Séisme d’intensité GLO estimée de VII-VIII
à Calais et à Douvres, de VI à Londres, et mouvements ressentis jusqu’à Cologne,
qui s’est produit en 1580 dans le détroit
du Pas-de-Calais
(Manche). |
(3)Collectés lors
des différents séismes enregistrés à travers
le monde (France, Italie, Japon, États-Unis, Nouvelle-Zélande…) |
|
|
|
|
|
|
|
• Garcia-Moreno D. et al. « Fault activity in the epicentral area of the 1580 Dover Strait (Pas-de-Calais) earthquake (northwestern Europe) », Geophysical Journal International, (2015) 201, 528–542 |
Lire la publication |
|
• Peyrusse F. et al. « A nodal discontinuous Galerkin method for site effects assessment in viscoelastic media—verification and validation in the Nice basin », Geophysical Journal International, (2014) 199, 315–334. |
Lire la publication |
|
• Lancieri M. et al. « Strategy for the selection of input ground motion for inelastic structural response analysis based on naïve Bayesian classifier », Bulletin of Earthquake Engineering (2015) 13:2517–2546 |
Lire la publication |
|
|