Récit de la mission Freebird 2012, épisode 7
Jean-Marc Bonzom, chercheur en écotoxicologie, et Audrey Sternalski, post-doctorante, sont sur le terrain pour une durée d'un mois, à proximité de la centrale nucléaire de Fukushima Dai-ichi dans le cadre du projet Freebird (Fukushima Radiation Exposure and Effects in BIRD populations, ANR Flash Post Fukushima).
Leur mission : étudier, aux alentours de la centrale, les effets sur les oiseaux de la contamination de l’environnement par des substances radioactives.
Grâce au carnet de voyage scientifique tenu par Jean-Marc Bonzom, ils partagent quelques moments de leur activité de terrain.
Des oiseaux aux grenouilles... Ou comment une nouvelle idée de recherche émerge
Notre monde est remplis d’innombrables sons naturels, et depuis les temps les plus reculés, les humains ont été intrigués et inspirés par ces « paysages de sons » (Jean-Claude Ameisen, citant Patricia Gray et al. La musique de la Nature et la nature de la musique. In : Science, 2001).
Chaque soir, à la tombée de la nuit, depuis mon studio, ce n’est pas n’importe quel son naturel qui me parvient : c’est le chant des grenouilles. Plus précisément, des rainettes. Des milliers de rainettes mâles qui chantent tous les soirs en chœur pour attirer les femelles. Ces sons ne m’inspirent pas de la musique, telle que peut l’évoquer Patricia Gray dans sa publication, mais plutôt des images. Les nuits passants, je n’entendais plus les sons, je les voyais, pour reprendre des propos de l’écrivain Jacques Lusseyran.
Une rainette (Hyla japonica). Préfecture de Fukushima (Japon, juin 2012)
© Jean-Marc Bonzom/IRSN
En écoutant ces chœurs de rainettes tous les soirs, pour en avoir déjà observé à maintes reprises en France, je m’imagine très bien à quoi elles ressemblent, et tout l’intérêt de s’y intéresser. D’autant plus que quelques jours avant mon départ pour le Japon, j’ai longuement discuté avec Thierry Lengagne, chercheur au CNRS à Lyon et spécialiste de la communication acoustique chez les oiseaux et les grenouilles. Depuis 2006, Thierry s’intéresse aux chants de la rainette européenne (une proche cousine de la rainette japonaise), à leur couleur, leur physiologie… pour tenter de percer tous les mystères de ces chants.
Ce paysage sonore, je le voyais donc, clairement : des centaines de grenouilles dans les rizières, des mâles qui gonflent leur sac vocal pour émettre ce chant si caractéristique. Le dos, couleur vert pomme, et la face ventrale parsemée à certains endroits de pigments orangés ; signe d’une coloration à base de caroténoïdes. Justement, les pigments qui nous intéressent dans le programme de recherche Freebird sur les oiseaux. Des grenouilles en contact étroit avec la vase des rizières et le sol. Donc, les endroits où se trouvent les plus fortes concentrations en radionucléides, tel que le césium. Ce mois de juin, ces rainettes colonisent des milliers de rizières en eau, réparties sur toute la préfecture de Fukushima. Dans des zones pas ou peu contaminées, jusqu’aux zones les plus contaminées.
Une rainette (Hyla japonica). On distingue très bien le sac vocal, gonflé, de ce mâle en train
de chanter en pleine nuit. Préfecture de Fukushima, Japon, juin 2012 © Jean-Marc Bonzom/IRSN
Les objectifs que nous nous sommes fixés sur les oiseaux, nous pouvons les appliquer également sur un autre modèle animal, les rainettes. Nous disposons de centaines de population de grenouilles, dans des zones plus ou moins contaminées et nous pouvons contacter facilement Thierry, spécialiste des grenouilles, qui peut à tout moment nous prodiguer des conseils forts utiles : comment capturer les rainettes ? Mesurer divers paramètres (couleurs…) ? Etc.
Une rizière en eau dans la préfecture de Fukushima. L'habitat privilégié des rainettes
en période de reproduction (juin 2012) © Jean-Marc Bonzom/IRSN
C’est décidé : il nous faut essayer. Les oiseaux, nous les attrapons très tôt le matin. Les grenouilles se capturent à la tombée de la nuit. En effet, c’est quand elles chantent qu’il est possible de les localiser, de les approcher et finalement de les attraper à la main. Les deux projets sont compatibles, même si les heures de sommeils doivent fondre comme neige au soleil. Par ailleurs, renseignements pris auprès de mes collègues japonais, il n’est pas nécessaire de disposer de permis pour capturer ces rainettes.
Ce soir, je fais un essai. Lampe frontale sur la tête, bottes au pied, direction la rizière la plus proche du logement, c’est-à-dire à 600 m. Une grande joie m’envahit, en moins d’une heure, j’ai capturé 15 rainettes. C’est peut-être la chance du débutant ! Les nuits suivantes, j’arrive à capturer d’autres dizaines de grenouilles, sur d’autres sites. En particulier sur un site fortement contaminé. En fonction des conditions climatiques, c’est plus ou moins facile. Les rainettes sont d’autant plus visibles qu’il fait chaud et humide.
Une rizière en eau dans la préfecture de Fukushima (juin 2012)
© Jean-Marc Bonzom/IRSN
Audrey m’accompagne un soir. Il faut absolument qu’elle apprenne à capturer des rainettes. Bientôt je vais rentrer en France. Audrey reste 13 jours de plus. Audrey et Christelle Adam-Guillermin (chef du Laboratoire d’écotoxicologie des radionucléides au SERIS) qui va la rejoindre, ainsi que les collègues avec qui nous travaillons, sont tous partants et enthousiastes pour entreprendre ce travail sur les grenouilles.
Au départ, un « paysage sonore ». A la fin, un projet de recherche collectif. Une histoire à suivre…
Jean-Marc
Dernière modification le 13 juillet 2012