Appréhender et gérer les lésions radiques digestives : importance de la réaction muqueuse et nouvelles orientations thérapeutiques
Agnès François a soutenu son HDR le 28 septembre 2007 à Fontenay-aux-Roses.
Mme Nina Griffiths, chercheuse au CEA de Bruyère le Châtel
M. Jean Bourhis, chef du Département de radiothérapie de l’Institut Gustave Roussy
Mme Jacqueline Férézou-Viala, chercheuse Inserm, Université Paris Sud
M. Marc Benderitter, chef du Laboratoire de RadioPAThologie, IRSN
Mme Isabelle Martelly, CRRET, CNRS, Université PARIS XII
La radiothérapie reste aujourd’hui incontournable dans la prise en charge des pathologies cancéreuses, et concerne 50 % des protocoles anti-tumoraux. Elle est cependant associée à des effets secondaires, dont la gestion devient une priorité face à l’augmentation du nombre de personnes ayant été soignées et vivant aujourd’hui de nombreuses années après leur traitement. Améliorer la qualité de vie des patients et limiter les possibles impacts cliniques mais aussi psychologiques et sociaux des séquelles des radiothérapies motivent les recherches mécanistiques et pré-cliniques dont l’objectif est de prévenir et/ou de réverser les pathologies associées à l’irradiation thérapeutique. L’évolution récente de la majorité des protocoles de radiothérapie, dont les radiothérapies pelviennes, a certes vu globalement diminuer les volumes de tissus sains irradiés mais présente une tendance générale à l’intensification d’un traitement souvent associé à d’autres stratégies cytotoxiques, et à l’augmentation de la sévérité des effets secondaires.
Les conséquences précoces de l’irradiation des tissus sains digestifs sont essentiellement muqueuses et caractérisées par une inflammation plus ou moins sévère et l’apparition d’ulcères. L’expression clinique consiste en des épisodes diarrhéiques et des douleurs abdominales. Les séquelles chroniques sont essentiellement des fibroses tissulaires, responsables de désordres cliniques liés à un durcissement, une perte de flexibilité et de fonctionnalité de la paroi intestinale pouvant aboutir à une occlusion complète du tube digestif. Histologiquement, le tissu irradié est atrophique, plus ou moins envahi de fibroblastes et l’architecture normale est progressivement remplacée par des dépôts collagéniques pauvrement vascularisés. L’activation fibroblastique et le dépôt de matrice extra-cellulaire sont caractéristiques de la réponse tissulaire post-traumatique et la fibrose radique peut être comparée à un processus cicatriciel chronique auto-entretenu.
Les concepts ont fortement évolué depuis quelques années (Bentzen, 2006). Le principe de la cellule cible suggère que les effets tissulaires des rayonnements sont liés uniquement aux pertes cellulaires radio-induites. S’il reste en partie valable pour les effets précoces, le concept de la cellule cible n’est pas applicable pour les effets tardifs. Les lésions radio-induites résultent d’une réponse biologique concertée au niveau cellulaire et tissulaire, initiée au moment de l’irradiation et caractérisée par l’activation de tous les compartiments et de tout ou partie des types cellulaires qui les composent. La notion de continuum entre les phases aigues et tardives offre la possibilité d’intervenir précocément avant ou durant la phase initiale de la réponse aux rayonnements et de moduler les conséquences cellulaires et tissulaires de l’irradiation par exemple en limitant la production et/ou l’action précoce de cytokines et de facteurs pro-fibrosants. De même, la notion d’effet conséquentiel suggère que, même si l’expression clinique des dommages aigus se résorbe souvent d’elle-même quelques semaines après la fin de la radiothérapie, l’induction de lésions précoces sévères lors de l’application de protocoles anti-tumoraux plus aggressifs que les protocoles conventionnels pourrait être un facteur de risque dans l’apparition de séquelles tardives.
Pour limiter les dommages aux tissus sains, les thérapeutes ont commencé par réduire, à l’aide des nouvelles techniques de radiothérapie et d’imagerie médicale, la dose reçue et le volume de tissus normaux irradiés. Malheureusement, les relations entre la dose d’irradiation, le volume irradié, le développement des complications et la qualité du contrôle tumoral sont extrêmement complexes. Face à la difficulté d’obtenir une réversion des lésions fibro-atrophiques radio-induites, une intervention thérapeutique précoce pour limiter les dommages aux tissus sains apparaît incontournable dans la gestion future des séquelles des radiothérapies. Certaines limites sont cependant associées aux stratégies de prévention des lésions radiques. Les stratégies thérapeutiques précoces mises en place avant, en concomittance ou juste après la radiothérapie doivent protéger les tissus sains et/ou favoriser leur régénération sans modifier ni la croissance tumorale ni sa radiosensibilité. De plus, tant qu’il ne sera pas possible d’identifier très précisément les patients à risque, le ou les traitements préventifs devront être administrés à tous les patients exposés aux rayonnements. Enfin, l’intervention thérapeutique dans le cas des expositions accidentelles ne peut avoir lieu qu’après un délai non négligeable, ce qui exclut l’applicabilité d’une stratégie thérapeutique basée sur la prophylaxie.
La recherche thérapeutique doit s’orienter vers la mise en place de stratégies complexes, avec pour objectif de trouver le meilleur compromis pouvant intervenir sur une multiplicité d’acteurs cellulaires et moléculaires. Trois axes majeurs devront être gardés à l’esprit dans les perspectives thérapeutiques concernant le tissu digestif :
1. Lutter contre la rupture de l’homéostasie épithéliale en augmentant le pool de cellules avant irradiation et en favorisant les processus de restitution et de régénération épithéliale par la stimulation de la prolifération des cellules des compartiments progéniteurs.
2. Lutter contre les changements phénotypiques des cellules, et plus globalement contre l’activation cellulaire et ses conséquences : activation de l’endothélium vasculaire et initiation des processus inflammatoires et thrombotiques; activation des cellules musculaires lisses vasculaires et sténose ; hypoxie tissulaire et stress oxydatif ; recrutement et activation des cellules du mésenchyme et déséquilibre matriciel.
3. Considérer la globalité des effets secondaires, et prendre conscience qu’il existe, en plus de la pénombre physique liée à la configuration de l’irradiation, une pénombre biologique, c'est-à-dire une répercussion potentielle des effets de l’irradiation en dehors du champ, sur la globalité d’un organe voire d’un organisme, et ce dans les configurations thérapeutiques et accidentelles.