Étude épidémiologique des travailleurs du cycle du combustible nucléaire et analyse des effets sanitaires des composés uranifères en fonction de leur solubilité
30/11/2015
Sergey Zhivin a soutenu sa thèse le 30 novembre 2015 à Villejuif.
Type de document >
*Mémoire/HDR/Thèse
Unité de recherche >
IRSN/DRPH/SRBE/LEPID
Introduction
Les humains sont constamment exposés aux rayonnements ionisants d'origine naturelle tels que les rayonnements telluriques, cosmiques et le gaz radon. L'exposition artificielle majeure provient des examens médicaux à rayons X et, dans une faible mesure, des retombées nucléaires après les accidents nucléaires (Tchernobyl, Fukushima…) et des essais d'armes nucléaires. L'exposition professionnelle aux rayonnements ionisants, quant à elle, concerne des nombreux métiers comme les professionnels de santé et les travailleurs de l'industrie nucléaire.
Bien que de nombreuses données soient disponibles sur les effets sanitaires des fortes expositions aux rayonnements γ, les effets consécutifs à des contaminations chroniques internes par les émetteurs α restent beaucoup moins connus. Ces émetteurs ont tendance à s'accumuler dans des tissus particuliers et émettent une radiation très dense. L'uranium est un émetteur α omniprésent dans la nature dont les effets (chimio- et radiotoxicité) dépendent de ses propriétés physico-chimiques, notamment la solubilité (absorption pulmonaire) et sa composition isotopique.
Actuellement, les travailleurs du cycle du combustible nucléaire attirent beaucoup d'attention scientifique du fait de leur exposition chronique à des divers composés uranifères, et de la disponibilité des données de surveillance. En outre, l'évaluation d'une exposition interne est sujette à de grandes incertitudes, et la majorité des travailleurs de l'uranium sont exposés à plusieurs composés uranifères ce qui complique l'analyse des risques associés à chacun des types d'uranium. C'est pour ces raisons que la littérature récente suggère d'effectuer les études chez les sous-groupes des travailleurs du cycle du combustible avec une exposition homogène, ainsi que de collecter des données précises sur les propriétés physico-chimiques de l'uranium.
Une étude-pilote des travailleurs d'AREVA NC Pierrelatte a été initiée en 2005 par l'Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) pour étudier une association potentielle entre mortalité et contamination interne due à l'uranium. Cette étude-pilote a conduit à la construction d'une cohorte française (TRACY U) de plus de 12000 travailleurs potentiellement exposés à l'uranium à Pierrelatte (AREVA NC, CEA, Eurodif, Comurhex, Socatri, FBFC), Malvési (Comurhex), Romans (FBFC) et Marcoule (Melox).
Mon projet de thèse intègre la poursuite de ces travaux avec trois objectifs principaux :
- Objectif 1 : Effectuer une revue critique de la littérature concernant l'impact de l'uranium sur la mortalité. Nous avons effectué une revue critique des études épidémiologiques réalisant un suivi de travailleurs du cycle du combustible nucléaire. Cette revue nous a amené à concentrer la thèse sur deux axes de travail.
- Objectif 2 : Analyser la mortalité dans la cohorte des travailleurs impliqués dans l'étape d'enrichissement. Cet objectif porte sur le risque de mortalité par maladies cancéreuses et non-cancéreuses chez les travailleurs français de l'enrichissement d'uranium. Contrairement aux autres travailleurs du cycle du combustible du nucléaire, cette population est exposée à l'uranium très soluble : hexafluorure d'uranium (UF6) et fluorure d'uranyle (UO2F2). Cette étude permet de mieux comprendre les risques spécifiquement associés à l'exposition à l'uranium soluble.
- Objectif 3 : Analyser la relation entre la mortalité par maladies d'appareil circulatoire et la dose interne due à l'uranium chez les travailleurs d'AREVA NC Pierrelatte. Cet objectif porte sur l'analyse du risque de décès par pathologies cardiovasculaires suite à l'exposition à l'uranium dans l'étude cas-témoins nichée des travailleurs d'AREVA NC Pierrelatte, après la prise en compte des facteurs classiques de risque cardiovasculaire.
Plan du manuscrit
Ce manuscrit de thèse se compose de six chapitres.
Le chapitre 1 introduit la problématique de l'exposition aux rayonnements ionisants chez l'homme, décrit les concepts de dose et les effets biologiques, et souligne les intérêts majeurs de la recherche sur les effets des rayonnements ionisants.
Le chapitre 2 présente les différentes étapes du cycle du combustible nucléaire en France. Ce chapitre met l'accent sur la variété des risques radiologiques et non-radiologiques rencontrés par ces travailleurs. L'état actuel de la surveillance médico-professionnelle de l'exposition interne due à l'uranium est détaillé.
Le chapitre 3 concerne les connaissances acquises sur les effets sanitaires après exposition chronique à l'uranium dans les études toxicologiques. Ce chapitre présente également la revue critique de la littérature de l'association entre mortalité et exposition à l'uranium interne qui a été effectuée dans le cadre de cette thèse. En outre, ce chapitre met en évidence l'influence des propriétés physico-chimiques des composés uranifères sur les effets sanitaires, identifie les lacunes actuelles, et propose des actions afin d'améliorer les futures études portant sur les travailleurs du cycle du combustible nucléaire.
Le chapitre 4 présente l'analyse de la mortalité au sein de la cohorte française des travailleurs de l'enrichissement de l'uranium. Une caractéristique unique de cette population est son exposition à des composés uranifères très solubles. Ce chapitre fournit des détails sur la construction de la cohorte et la méthodologie de la reconstruction de l'exposition professionnelle pour les polluants radiologiques et non-radiologiques. En premier lieu, la mortalité a été comparée à celle de la population française. En second lieu, les analyses exposition-réponse ont été effectuées pour certaines causes de décès définies à priori.
Le chapitre 5 examine la relation entre mortalité par maladies d'appareil circulatoire et dose interne due à l'uranium. Ces résultats reposent sur une étude cas-témoins nichée des travailleurs d'AREVA NC Pierrelatte. Un protocole dosimétrique a été développé spécifiquement pour cette étude, ce qui a permis l'estimation des doses individuelles dues à l'uranium fondées sur les données individuelles de surveillance radiotoxicologique et des données sur la solubilité de l'uranium (absorption pulmonaire). Des données individuelles sur les principaux facteurs de risque des maladies cardiovasculaires ont été extraites des dossiers médicaux.
Le chapitre 6 présente une discussion générale sur les limites et les avantages du travail effectué. Ce chapitre traite des questions soulevées par ce travail et ouvre des perspectives.
Revue critique de la littérature concernant l'impact de l'uranium sur la mortalité (objectif 1)
La toxicité de l'uranium dépend de ses propriétés physico-chimiques, y compris la composition isotopique et la solubilité.
Les travailleurs du cycle du combustible nucléaire sont potentiellement exposés à des formes diverses physico-chimiques de l'uranium. De ce fait et en raison de l'exposition mesurable, c'est une population d'intérêt pour les effets de l'uranium sur la santé.
Le lien entre exposition à l'uranium et mortalité par cancer avait déjà été analysé par le Docteur Irina Guseva Canu pour les études portant sur les travailleurs du nucléaire et publiées entre 1980 et 2006. Pour mettre à jour la revue mentionnée ci-dessus et étudier l'impact des propriétés physico-chimiques de l'uranium (composition isotopique, solubilité), nous avons analysé la mortalité par maladies cancéreuses et non-cancéreuses dans les études épidémiologiques du personnel civil (travailleurs du cycle du combustible nucléaire) et militaire (travailleurs déployés dans les guerres du Golfe et des Balkans) publiées entre 1980 et 2013. Notre thèse ne discute pas les résultats de mortalité du personnel militaire, mais ils peuvent être trouvés dans l'article publié.
Questions scientifiques
Notre revue a cherché à répondre aux questions suivantes :
- Y-a-t-il un taux élevé de mortalité entre les différents groupes de travailleurs du cycle du combustible nucléaire ?
- Y-a-t-il une relation dose-réponse entre exposition à l'uranium et cause de décès définie ?
- Dans quelle mesure les propriétés physico-chimiques expliquent les associations observées ?
Recherche documentaire
Deux bases de données biomédicales (PubMed et Scopus) ont été utilisées pour rechercher les articles anglophones publiés entre 1980 et 2013. Les mots-clés étaient : mortality, morbidity, incidence, cancer, lymphatic, lymphoid, leukemia, hematopoietic, lymphohematopoietic, multiple myeloma, non-Hodgkin's lymphoma, Hodgkin's disease, kidney, circulatory, cardiovascular, cerebrovascular, ischemic, disease, uranium, workers, processing. Les bibliographies de chacun des articles récupérés ont ensuite été analysées comme un moyen d'identifier des études supplémentaires.
Critères d'exclusion
Notre revue était dédiée à l'analyse des effets de l'uranium. Pour cette raison, nous avons exclu les études où l'uranium n'était pas la source majeure de l'exposition: travailleurs américains de Rocketdyne/Atomics International (plus de 14 radionucléides différents, y compris uranium, plutonium, strontium, thorium, polonium, americium, cesium…), travailleurs américains de Savannah River Site (exposition interne, y compris uranium, plutonium, tritium et les produits de fission) et travailleurs français du Commissariat à l'énergie atomiques et aux énergies alternatives (CEA) (mélange d'exposition interne et externe).
Vingt articles ont été identifiés. En moyenne, la période de suivi était de 43,6 ans. En raison d'un manque d'informations détaillées, nous avons supposé que la plupart des travailleurs ont été exposés aux composés solubles et insolubles. Pour les travailleurs d'enrichissement, nous avons supposé une exposition homogène à l'uranium soluble.
Comparaison avec la population générale
Un excès significatif de mortalité par cancer du poumon a été observé chez les travailleurs de fabrication de combustible américains embauchés à Y-12 Oak Ridge, à Fernald Feed Materials Production Center et les travailleurs français à Pierrelatte. La plupart des études ont noté une baisse de mortalité (effet du travailleur sain) par rapport à la population générale. Cet effet était plus remarquable pour les maladies de l'appareil circulatoire.
Analyse dose-réponse
Sur les 20 articles examinés, seulement 9 études ont permis une analyse dose-réponse. Seulement 7 études ont évalué l'exposition interne due à l'uranium (dose interne, intake d'uranium, score d'exposition…) ; d'autres ont utilisé des proxis d'exposition.
Seule l'étude des travailleurs de l'enrichissement américains de Paducah a suggéré une augmentation de mortalité par cancer du poumon et des tissus lymphohématopoïétiques, malgré une faible puissance statistique.
Impact des propriétés physico-chimiques
Les propriétés physico-chimiques de l'uranium sont rarement prises en compte dans les études analysées. Bien que le type de travail puisse être un substitut raisonnable des propriétés physico-chimiques de l'uranium, il n'y avait pas d'indication d'excès de mortalité entre différents groupes des travailleurs du cycle du combustible nucléaire. Néanmoins, deux études américaines de travailleurs de fabrication du combustible et une étude américaine de travailleurs de l'enrichissement ont montré respectivement une augmentation de mortalité par cancer du poumon et des tissus lymphohématopoïétiques. Une étude française des travailleurs d'AREVA NC Pierrelatte a signalé un impact de l'isotopie et de la solubilité car le risque de mortalité par cancer (poumon, tissus lymphohématopoïétiques) et par maladies d'appareil circulatoire était plus élevé pour les composés uranifères de retraitement insolubles par rapport aux composés naturels solubles.
Discussion
Notre revue critique de la littérature a montré les points suivants : (1) Les travailleurs du cycle du combustible nucléaire ont une mortalité inférieure (« effet du travailleur sain ») à celle de la population générale ; (2) La mortalité par cancer du poumon et des tissus lymphohématopoïétiques semble être élevée dans certains groupes de travailleurs (enrichissement d'uranium et fabrication du combustible) ; (3) L'impact des propriétés physico-chimiques ne peut pas être défini sur la base des études actuelles.
En conclusion, les caractéristiques physico-chimiques de l'uranium sont rarement prises en compte dans les études épidémiologiques et les résultats disponibles ne sont pas concluants quant à leur association avec des effets sanitaires. De plus, la majorité des travailleurs d'uranium sont exposés à plusieurs composés uranifères, ce qui complique l'analyse des risques associés à chacun des types d'uranium. Les études futures portant sur les travailleurs de l'enrichissement (exposition à l'hexafluorure d'uranium) et de fabrication du combustible (exposition au dioxyde d'uranium) auront le plus grand potentiel pour déterminer les risques de santé après exposition chronique à l'uranium, en raison de leur exposition homogène à des formes physico-chimiques spécifiques.
Analyse de la mortalité dans la cohorte des travailleurs impliqués dans l'étape d'enrichissement de l'uranium (objectif 2)
L'enrichissement de l'uranium est une des étapes du cycle du combustible nucléaire. Les travailleurs impliqués dans cette étape sont une population d'intérêt pour la communauté scientifique en raison de l'exposition homogène à des composés uranifères très solubles (UF6, UO2F2). C'était la motivation principale pour mettre en place et analyser la mortalité dans la cohorte française des travailleurs de l'enrichissement de l'uranium.
Matériels et Méthodes
Construction de la cohorte et suivi épidémiologique
Une liste préliminaire des travailleurs de l'enrichissement a été identifiée à partir de la cohorte TRACY U (TRAvailleurs du CYcle du combustible potentiellement exposés à l'uranium) de 12739 travailleurs. Les critères d'inclusion ont été définis comme suit :
- Emploi aux usines d'enrichissement AREVA NC Pierrelatte, CEA Pierrelatte et Eurodif ;
- Travail au moins six mois entre 1964 et 2008 ;
- Vivant au 01/01/1968.
Par ailleurs, nous avons exclu les catégories suivantes : travailleurs ayant des contrats temporaires et anciens mineurs d'uranium. La base de données définitive, utilisée dans les analyses statistiques, a inclus 4688 travailleurs.
La date d'entrée dans la cohorte a été définie comme la date de la première embauche à l'usine d'enrichissement plus six mois ou le 01/01/1968. La date de sortie de la cohorte était la date de décès, la date de dernières nouvelles pour les perdus de vue ou le 31/12/2008.
Données d'exposition
L'exposition annuelle aux composés uranifères solubles (de base de l'uranium naturel, enrichi ou appauvri) et aux produits non-radiologiques (trichloréthylène, chaleur, bruit) a été reconstituée pour chaque individu grâce à une matrice emplois-expositions. Un produit multiplicatif de la fréquence, l'intensité d'exposition et la durée d'emploi, issu de la matrice emplois-expositions, a permis de dériver un score d'exposition individuelle à l'échelle annuelle, qui peut être utilisé dans les analyses statistiques.
Les doses d'irradiation externe (en mGy) ont été reconstituées pour chaque année à partir des archives dosimétriques du Système d'Information de la Surveillance de l'Exposition aux Rayonnements Ionisants (SISERI) mis en place par l'Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN).
Statuts vitaux et causes de décès
Les statuts vitaux ont été obtenus auprès du Répertoire National d'Identification des Personnes Physiques (RNIPP) de l'Institut National de la Statistique et des Études Économiques (INSEE). Les causes de décès ont été obtenues auprès du Centre d'épidémiologie sur les Causes Médicales de Décès (CépiDC) de l'Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM) pour la période de 1968 à 2008. Les causes de décès sont codées selon la Classification Internationale des Maladies (CIM) définie par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Pour les décès survenant avant 1978, les causes de décès sont codées selon la version 8 de la CIM (CIM-8), puis selon la CIM-9 pour les décès survenant jusqu'en 1999 et finalement selon la CIM-10 pour les décès survenant après 2000.
Méthodes d'analyse
Une première étape dans l'analyse était la comparaison entre la mortalité de la cohorte et de la population française. La mortalité observée a été comparée à celle attendue d'après les taux de mortalité de la population française, par calcul du rapport de mortalité standardisé (Standardized Mortality Ratio, SMR) par cause spécifique.
En deuxième lieu, des modèles de Poisson log-linéaires et les modèles linéaires d'excès risque relatif (ERR) ont été employés pour étudier la mortalité par cancers solides, par tissus lymphohématopoïétiques, ainsi que par maladies de l'appareil circulatoire en lien avec l'exposition interne à l'uranium ou à l'exposition externe gamma.
Résultats
Comparaison avec la population générale
La mortalité par toutes causes de décès (SMR=0,69, intervalles de confiance à 95% (IC) 0,65 à 0,74) et tous cancers (SMR=0,79, 95% IC 0,72 à 0,87) était inférieure par rapport à celle de population française. On a observé un excès significatif de mortalité par cancer de la plèvre (SMR=2,32, 95% IC 1,06 à 4,41). D'autres excès non-significatifs ont été observés pour le cancer du rein (SMR=1,12, 95% IC 0,60 à 1,91), du pancréas (SMR=1,30, 95% IC 0,87 à 1,85), du système biliaire (SMR=1,55, 95% IC 0,50 à 3,62), des tumeurs malignes du système nerveux central (SMR=1,62, 95% IC 0,94 à 2,59), du mélanome de la peau (SMR=1,93, 95% IC 0,83 à 3,81) et du sein chez les femmes (SMR=1,46, 95% IC 0,63 à 2,88). Des déficits de mortalité ont été observés pour les cancers liés au tabagisme (SMR=0,73, 95% IC 0,64 à 0,83), le cancer du poumon (SMR=0,74, 95% IC 0,60 à 0,90), les maladies respiratoires non malignes (SMR=0,64, 95% IC 0,47 à 0,84), les maladies de l'appareil circulatoire (SMR=0,79, 95% IC 0,70 à 0,89) et la mortalité due à des causes externes (SMR=0,53, 95% IC 0,42 à 0,66).
Analyse dose-réponse
L'exposition à des composés uranifères très solubles (issus de l'uranium naturel) n'était pas significativement associée aux causes de décès étudiées (cancers du poumon, cancers solides et des tissus lymphohématopoïétiques, maladies d'appareil circulatoire). Une tendance à la baisse a été observée pour les cancers du poumon et les tissus lymphohématopoïétiques. Une association non significative a été notée entre la dose externe γ et la mortalité par maladies de l'appareil circulatoire (ERR/100 mGy=0,13, 95% IC <0 à 1,97) et les maladies ischémiques (ERR/100 mGy=1,11, 95% IC <0 à 3,86). La magnitude de l'association liée à l'uranium enrichi et appauvri était comparable à celle de l'uranium naturel.
Discussion
Dans son ensemble, l'analyse de la cohorte des travailleurs français de l'enrichissement montre un effet du travailleur sain en comparaison avec la population française, à l'exception d'un excès de mortalité par cancer de la plèvre. Aucune des causes de mortalité étudiée n'a été associée significativement, ni avec l'exposition aux composés uranifères rapidement solubles ni avec l'exposition externe γ.
Les résultats obtenus dans notre étude mériteraient d'être réévalués après un suivi supplémentaire, la réalisation de nouvelles analyses utilisant les doses absorbées dues à l'uranium, et une mise en commun des données avec d'autres cohortes similaires afin d'augmenter la puissance statistique.
Une étude de cohorte de 2897 travailleurs d'AREVA NC Pierrelatte réalisée en 2005–2010 a suggéré un risque accru de mortalité par maladies de l'appareil circulatoire. Cette analyse était fondée sur les scores cumulés à six formes physico-chimiques de l'uranium issus de la matrice emplois-expositions. Une décision avait été prise de mettre en place une étude cas-témoins nichée, d'estimer les doses absorbées dues à l'uranium en prenant en compte les propriétés physico-chimiques et de collecter les données sur les facteurs individuels de risque cardiovasculaire afin d'ajuster les analyses dose-réponse.
Matériels et Méthodes
La cohorte sous-jacente pour à cette étude est celle de travailleurs d'AREVA NC Pierrelatte. L'établissement AREVA NC Pierrelatte est situé sur le site nucléaire du Tricastin. Ce site a été construit par le CEA qui dès 1960 utilisait le procédé d'enrichissement par diffusion gazeuse, d'abord dans des usines-pilotes, puis dans des usines militaires. En 1976, le procédé et le personnel de certaines installations ont été intégrés à la COGEMA (devenue AREVA en 2006) pour produire de l'uranium enrichi civil jusqu'à l'apparition de l'usine Eurodif en 1978. A partir de ce moment, la chimie de l'uranium est devenue l'activité dominante du site. L'uranium a été la seule matière radioactive manipulée. La cohorte des travailleurs de la transformation de l'uranium d'AREVA NC Pierrelatte a été créée en 2005 comme une étude-pilote. La cohorte comprenait 2897 travailleurs employés à l'usine pendant au moins six mois entre 1960 et 2006. Les statuts vitaux et les causes de décès ont été collectés à partir de registres nationaux de mortalité (RNIPP et CépiDC) jusqu'en 2006.
L'analyse de l'étude cas-témoins nichée porte sur 102 décès par maladies d'appareil circulatoire (dont 44 décès par maladies ischémiques et 31 par pathologies cérébrovasculaires) et 416 témoins. Les cas et les témoins ont été appariés sur l'âge atteint, le sexe, la période de naissance et le statut socio-professionnel. Les doses absorbées (mGy) ont été estimées en tenant compte des profils de solubilité des composés uranifères extraits de la matrice emploi-expositions. Les facteurs de risques cardiovasculaires individuels (tabagisme, pression artérielle, indice de masse corporelle, cholestérol, glycémie) ont été recueillis à partir des dossiers médicaux. La mortalité a été analysée par régression logistique conditionnelle afin d'estimer l'Excess Odds Ratio (EOR) par mGy de la dose interne due à l'uranium.
Résultats
Association avec facteurs de risque
Des associations positives non-significatives ont été observées entre la mortalité par maladies de l'appareil circulatoire et tous les facteurs de risque biologiques ou de comportement considérés. L'ajustement sur la dose interne due à l'uranium n'a pas modifié ces associations. La mortalité était significativement associée avec l'hypertension (Odds Ratio ajusté (AOR)=3,89, 95% IC 2,16 à 7,02) et à la limite du seuil de signification avec la glycémie (AOR=1,09, 95% IC 0,98 à 1,22).
Analyse dose-réponse
Une tendance linéaire non-significative (p-value=0.4) a été observée entre la mortalité par maladies de l'appareil circulatoire et les catégories de dose absorbée due à l'uranium. Nous avons observé une association significative dans en utilisant un modèle linéaire (EOR/mGy=0,2, 95% IC 0,004 à 0,5). Il y avait peu de signe de confusion par les facteurs de risque cardiovasculaires individuels ou l'exposition externe γ.
Discussion
C'est la première étude qui suggère une augmentation de la mortalité par maladies de l'appareil circulatoire avec la dose absorbée cumulée due à l'uranium. Afin de disposer de la dose interne et d'étudier l'influence des facteurs de risque biologiques et de comportement sur la relation dose-réponse, un investissement important a été réalisé pour l'estimation des doses et le recueil des données concernant les facteurs de risque à partir des dossiers médicaux des travailleurs. L'ajustement des modèles sur les facteurs de risque cardiovasculaires classiques ne modifie pas l'association.
L'association observée conforte les résultats de l'analyse précédente au sein de la cohorte d'AREVA NC Pierrelatte, mais la magnitude de la relation dose-risque obtenue est très élevée et peu compatible avec les connaissances actuelles sur les effets des rayonnements ionisants. Les résultats actuels doivent donc être considérés avec une grande précaution.
L'association observée conforte les résultats de l'analyse précédente au sein de la cohorte d'AREVA NC Pierrelatte, mais la magnitude de la relation dose-risque obtenue est très élevée et peu compatible avec les connaissances actuelles sur les effets des rayonnements ionisants. Les résultats actuels doivent donc être considérés avec une grande précaution.
Conclusion générale
En raison de l'omniprésence de l'uranium dans la nature, plus de données sont nécessaires pour évaluer les effets potentiels de cette exposition sur la santé. Les travailleurs du cycle du combustible nucléaire constituent une population d'intérêt afin d'étudier l'exposition à faible dose et faible débit dose par inhalation d'uranium. L'interprétation des études antérieures a été entravée par les limites suivantes : mauvaise qualité de l'évaluation de l'exposition, non-prise en compte des propriétés physico-chimiques des composés uranifères, puissance statistique limitée et non-prise en compte des facteurs de confusion potentiels.
Dans ce travail de thèse, nous avons tenté de répondre à certaines limites citées ci-dessous : (1) en construisant une cohorte française des travailleurs de l'enrichissement d'uranium exposés à des composés uranifères très solubles et (2) en analysant le risque de décès par maladies de l'appareil circulatoire en relation avec la dose absorbée estimée chez les travailleurs d'AREVA NC Pierrelatte et en recueillant des informations individuelles sur les facteurs de risque classiques de maladie cardiovasculaire.
L'exposition à des composés uranifères très solubles n'a été associée significativement à aucune des causes de décès étudiée. L'association entre le risque de décès par maladies d'appareil circulatoire persiste après ajustement sur les facteurs de risque biologiques ou de comportement et l'exposition externe γ. Néanmoins, la magnitude de cette association apparait particulièrement élevée et associée à de grandes incertitudes et ce résultat doit être interprété avec prudence.
Le niveau d'exposition faible à l'uranium et le petit nombre de travailleurs sont les causes principales de la puissance statistique limitée de notre travail. Le suivi de 12739 travailleurs du cycle du combustible potentiellement exposés à l'uranium (cohorte TRACY U), le développement de collaborations internationales permettant de mener des études combinées et la collecte de matériel biologique permettant la recherche des biomarqueurs permettra d'améliorer notre connaissance des risques associés à l'exposition chronique de l'uranium.
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