Accident de Fukushima : analyse d’une étude ayant mis en évidence des anomalies morphologiques sur des pins japonais
Une équipe de chercheurs japonais a identifié une augmentation des anomalies sur des pins situés en zone contaminée, des faits déjà observés après l’accident de Tchernobyl. L’IRSN comme les auteurs restent néanmoins prudents quant au lien de causalité avec le niveau de radioactivité ambiant.
L’IRSN est impliqué dans plusieurs coopérations scientifiques visant à étudier l’impact sur la faune et la flore de la contamination radioactive consécutive à un accident nucléaire majeur. A ce titre, l’Institut vient d’analyser une publication scientifique ayant rapporté des défauts dans la croissance de populations de pins japonais impactés par l’accident nucléaire de Fukushima de mars 2011.
Description et conclusion de l’étude
Une équipe de chercheurs japonais a mené en janvier 2015, une analyse des pins sur quatre sites forestiers japonais : trois sites contaminés par les rejets radioactifs consécutifs à l’accident de Fukushima et un site témoin qui n’a pas été impacté.
En janvier 2015, le débit de dose ambiant moyen à 1 mètre du sol s’élève à 0,13 microsievert par heure (µSv/h) pour le site témoin et respectivement 6,85 µSv/h, 19,6 µSv/h et 33,9 µSv/h pour les sites contaminés.
L’analyse porte sur la fréquence d’apparition d’une anomalie, à savoir la perte de l’axe principal des pins, et en complément, sur le nombre de branches latérales de chaque verticille – à savoir, chaque étage de croissance annuel de la plante. Pour chaque site contaminé, les résultats obtenus sont comparés pour chaque année au site témoin et à ceux de l’année 2010 qui a précédé l’accident.
Représentation schématique de la croissance des pins japonais
Sur les sites contaminés, les auteurs de l’étude ont observé à partir de 2012 une augmentation significative de la fréquence de perte de l’axe principal des arbres, tandis que la fréquence d’apparition de ce type de dommage ne varie pas sur le site témoin non contaminé.
A noter que le pic d’apparition des dommages est mesuré en 2013 : sur le site le plus contaminé, près de 90% des arbres sans anomalie en 2012 présentent un dommage en 2013. La fréquence des dommages augmente également avec la valeur du débit de dose ambiant. En revanche, la fréquence d’apparition des dommages diminue en 2014.
Analyse de l’IRSN
L’étude a collecté des données sur une fonction physiologique majeure - à savoir les processus de développement d’une espèce - dès le début de la phase post-accidentelle avec une comparaison à la situation pré-accidentelle. Son principal point fort réside dans le choix d’une espèce connue pour sa forte radiosensibilité.
Les auteurs restent prudents quant au lien de causalité entre le niveau des dommages et le niveau de radioactivité ambiant. Cette prudence est appropriée, en raison de faiblesses méthodologiques, par ailleurs assez classiques pour ce type d’étude de terrain :
- les analyses statistiques souffrent de fortes lacunes. Par exemple, les données sont comparées en fonction du débit de dose ambiant, alors que d’autres facteurs pourraient expliquer des différences de croissance des pins entre sites.
- la mesure du débit de dose ambiant n’est pas suffisante pour apprécier l’exposition. Cette dernière peut varier en fonction de mécanismes biologiques sous-jacents (âge, taille, structure, etc.), lesquels sont complexes et peu connus.
L’augmentation des anomalies observée à Fukushima semble cohérente avec les études conduites après l’accident de Tchernobyl, en Ukraine, en 1986. Depuis 1993, sur les sites très contaminés autour de Tchernobyl, les pins ont montré des anomalies pour 50% à 60% des conifères de 2 à 9 ans.
Cependant, Il est difficile de tirer des conclusions, voire de comparer les études. Les valeurs de débit de dose présentées comme mortelles pour les bourgeons sont beaucoup plus élevées à Tchernobyl et les bourgeons latéraux ne sont pas touchés à Fukushima, ce qui pointe vers d’autres mécanismes.
A Fukushima, il est fort probable que les effets mesurés et leurs dynamiques temporelles résultent d’un ensemble complexe d’effets directs et indirects. Dans ce contexte, le lien de causalité entre doses et effets biologiques, ainsi que la comparaison des résultats ne pourront être réalisés qu’à la lumière d’une estimation robuste des expositions, l’identification des facteurs confondants et l’utilisation de méthodes statistiques appropriées.