Contaminations radioactives chroniques : les résultats du programme de recherche ENVIRHOM de l'IRSN confirment la nécessité de mieux connaître les risques associés
Les enjeux
Le système international de protection contre les rayonnements ionisants ou radioprotection est fondé sur un ensemble de principes, de règles de gestion et de procédures qui permettent d’évaluer l’impact sanitaire d’une exposition aux rayonnements ionisants et de mettre en place les moyens de protection adaptés. En dehors des situations de forte exposition de nature accidentelle, ce système concerne le risque d’apparition de cancer radio-induit, et repose essentiellement sur le postulat d’une relation linéaire sans seuil entre la fréquence d’apparition des cancers et la dose résultant de l’exposition.
Les normes de radioprotection sont en particulier fondées sur les résultats de l’étude épidémiologique des populations exposées à Hiroshima et Nagasaki. Ces données ont été établies pour des situations d’exposition très particulières, à savoir une irradiation externe mixte neutrons/gamma, délivrée en un très court instant. A partir de ces données la communauté scientifique a bâti un système de normes de radioprotection. Ces normes se sont avérées être satisfaisantes pour la gestion du risque radiologique chez les travailleurs.
Concernant la population générale, normalement soumise à des expositions très faibles, surtout issues de rayonnements naturels, les normes de radioprotection, ne sont en revanche pas directement issues de données expérimentales portant sur ces niveaux faibles d’exposition, mais reposent sur une extrapolation des normes applicables aux travailleurs. Elles apportent cependant un niveau de protection très élevé par rapport au risque de cancer radio-induit.
Les connaissances des effets biologiques et sanitaires des rayonnements ionisants en dehors du risque de cancer concernent principalement les pathologies qui apparaissent à partir des moyennes et fortes doses au-delà d’un seuil. En revanche, il existe aujourd’hui un déficit de connaissances sur les effets possibles, autres que le cancer, de contaminations chroniques à faible niveau par des radionucléides.
Quant à la protection de l’environnement, elle est considérée comme acquise grâce aux règles et normes appliquées à la protection de l’homme dans le système en vigueur. Or l’absence de démonstration scientifique de cette affirmation et la montée en puissance des préoccupations environnementales conduisent à réexaminer ce postulat. Le nouveau paradigme de la protection de l’environnement contre les rayonnements ionisants, aujourd’hui non inclus explicitement dans le système de radioprotection, sera donc de considérer l’environnement non pas en tant que voie de transfert entre la source d’exposition et l’homme mais en tant qu’ensemble d’écosystèmes où la biodiversité doit être protégée.
Les objectifs
Le programme ENVIRHOM concerne la radioprotection des populations d’organismes vivants au sens large (homme, faune et flore), placés dans une situation de contamination chronique à faible niveau de radionucléides, dans un contexte de multi-pollution (présence simultanée de plusieurs polluants).
Ce programme de recherche, démarré en 2002, mobilise aujourd’hui une quarantaine de chercheurs de l’IRSN.
Ses objectifs sont :
• d’identifier, à partir de modèles expérimentaux sur l’animal, les effets biologiques et les dysfonctionnements éventuels induits par les radionucléides sur les grandes fonctions physiologiques (systèmes nerveux central, immunitaire, reproducteur. etc.).
• pour les écosystèmes, de relier les perturbations observées chez les individus (comportement, croissance, reproduction) avec les effets à l’échelle des populations composant ces écosystèmes.
La stratégie de ce programme de recherche est ainsi d’intégrer, dans une approche expérimentale commune, la protection de l’homme et celle de l’environnement.
Dans une première étape, un seul radionucléide, commun aux volets « environnement » et « santé », a été étudié : l’uranium.
Les résultats
> Volet « Environnement »
Les résultats obtenus pour l’uranium soulignent l’intérêt de l’étude systématique des réponses biologiques sur les grandes fonctions des organismes vivants dans le domaine de l’exposition chronique à de faibles niveaux. Les principales conclusions sont les suivantes :
• Certaines grandes fonctions physiologiques des organismes vivants, telles que la respiration, le comportement ou l’alimentation, sont modifiées de manière très précoce et à de faibles niveaux d’exposition.
• Des réponses plus tardives sont observées sur les grandes fonctions telles la reproduction lorsque les durées de l’exposition deviennent significatives par rapport à la durée de vie de l’organisme étudié. Ces réponses apparaissent à partir d’un seuil. D’un point de vue opérationnel, la connaissance de ce seuil marque la transition entre le domaine sans effet et le domaine de la toxicité.
• Une modélisation a permis de simuler les conséquences démographiques sur des populations animales à partir des effets observés sur les grandes fonctions des individus.
• Les effets biologiques de l’uranium seul sont augmentés en cas d’exposition simultanée à un autre métal toxique, le cadmium. Ils peuvent au contraire être diminués en présence d’autres éléments tels le sélénium, oligo-élément essentiel à la vie.
> Volet « Santé »
Les résultats obtenus chez le rat de laboratoire montrent que les effets des expositions chroniques ne peuvent pas être extrapolés à partir des connaissances des effets des expositions aiguës. Les principaux enseignements des expérimentations réalisées sont que :
Les vitesses d’accumulation et d’excrétion de l’uranium en situation d’exposition chronique sont fonction de la durée d’exposition
Elles diffèrent quantitativement et qualitativement des modèles issus des expositions aiguës
Les organes cibles après exposition chronique sont différents de ceux après exposition aiguë
Certains de ces organes présentent des anomalies fonctionnelles, qui sont autant d’effets biologiques non liés à l’apparition de cancers notamment des modifications des comportement et du sommeil et des effets sur le métabolisme des xénobiotiques (polluants, médicaments..)
Les résultats obtenus mettent ainsi en défaut l’un des paradigmes importants du système de radioprotection, tout au moins pour le modèle rat contaminé à l’uranium par ingestion. Les expositions chroniques par contamination interne ont eu en effet des résultats inattendus en termes de cible (organes atteints) et d’effets biologiques. Cependant, il n’est pas démontré que ces effets biologiques ont des conséquences sanitaires et conduisent à des développements de pathologies. De même, il reste à déterminer dans quelle mesure les résultats obtenus sur un modèle expérimental sont extrapolables à l’homme, et valables pour d’autres radionucléides.
Les conclusions
Dans le domaine de l’environnement, les résultats acquis sont indispensables pour déterminer le niveau d’exposition pour lequel la protection des écosystèmes est assurée en condition d’exposition chronique. Cette connaissance est la base de la mise en place d’un système de radioprotection de l’environnement. Le contexte actuel et futur dans le domaine du nucléaire renforce l’enjeu associé à la radioprotection de l’environnement puisque un certain nombre de pays sont ou seront confrontés à la mise en place de nouvelles installations, à l’expansion ou au maintien des programmes du nucléaire incluant le démantèlement, la mise en œuvre de sites de stockages de déchets ou encore la gestion d’anciens sites miniers d’uranium après leur exploitation.
Dans le domaine de la santé, les données présentées mettent en évidence des incertitudes dans les modèles de gestion des risques après contamination interne. Ces incertitudes doivent être identifiées, quantifiées et intégrées dans le système de radioprotection. Cependant ce système, conçu pour être un système « enveloppe », couvrant un grand nombre de situations avec une marge de sécurité importante, ne semble pas devoir être remis en question, et reste actuellement le meilleur outil disponible pour la gestion de risques. En revanche, l’approche scientifique Envirhom pourrait à terme conduire à améliorer ce système par l’intégration de nouvelles données expérimentales concernant une gamme appropriée de radionucléides, et après validation sur d’autres modèles, dont l’homme.
Les perspectives
Les travaux relatifs à l’uranium pourraient permettre d’améliorer l’évaluation des risques environnementaux et sanitaires dans le cadre de la gestion des sites miniers uranifères pendant leur exploitation ou après leur fermeture, ils seront donc poursuivis.
Sur la base du modèle référent de contamination par l’uranium, d’autres radionucléides sont maintenant à l’étude dans le cadre du programme ENVIRHOM et seront planifiés dans les cinq années à venir. Il s’agit :
- des isotopes du césium, ainsi que de l’américium-241, dans le cas des situations post accidentelles de type Tchernobyl.
- d’émetteurs β,γ à vie longue susceptibles d’être libérés dans la biosphère après stockage à long terme des déchets radioactifs, 14C, 79Se, 99Tc, 36Cl, 129I, 94Nb, 63Ni,..
Pour le volet « environnement », les actions futures seront essentiellement axées sur l’étude des effets lors de multi-pollutions et sur les mécanismes d’adaptation des organismes vivants lorsque l’exposition s’étale sur plusieurs générations.
Compte tenu de l’ampleur de la tâche, et de la nécessité de forger des consensus internationaux pour conduite toute évolution future du système de radioprotection, l’IRSN développera des coopérations scientifiques sur ce thème avec d’autres équipes de recherche, notamment dans le cadre européen.
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