Risque de colmatage des puisards de l'enceinte de confinement des centrales nucléaires d'EDF
Actualisation de la note d'information du 30 octobre 2003
En cas de brèche de ce circuit, le réacteur est arrêté automatiquement. Mais il convient d’évacuer la puissance qui continue de se dégager du combustible, du fait de la radioactivité des produits formés pendant le fonctionnement du réacteur ; ce refroidissement doit être assuré sur des durées importantes. A cette fin, un système dit système d’injection de sécurité (RIS) permet d’envoyer de l’eau dans le cœur du réacteur tandis que la vapeur qui se dégage par la brèche du circuit primaire est condensée dans l’enceinte de confinement par le système d’aspersion dans l’enceinte (EAS) qui pulvérise de l’eau sous le dôme de l’enceinte.
Dans un premier temps, l’eau utilisée pour l’injection de sécurité et pour l’aspersion dans l’enceinte de confinement provient d’un réservoir (PTR) d’une capacité de 1600 m3 pour une tranche de 900MWe ; de la soude est ajoutée à l’eau d’aspersion pour favoriser la rétention des produits radioactifs dans l’enceinte de confinement. Quand le réservoir PTR est vide, au bout d’un temps variable selon l’importance de la brèche (de l’ordre de 30 minutes pour la rupture instantanée de la plus grosse tuyauterie), les systèmes d’injection de sécurité et d’aspersion dans l’enceinte de confinement sont alimentés par l’eau récupérée au fond de l’enceinte de confinement dans des puisards prévus à cet effet. Les systèmes RIS et EAS fonctionnent alors en circuit fermé et permettent d’évacuer la puissance résiduelle du réacteur pendant les durées nécessaires.
Toutefois, l’eau aspergée dans l’enceinte de confinement peut entraîner des débris, provenant par exemple de l’impact du jet d’eau, initialement à une pression de 155 bars, sur les calorifuges des matériels situés au voisinage de la brèche ; ces débris peuvent également contenir des particules de béton et de peinture. Aussi, les puisards sont équipés de filtres qui visent à protéger les pompes des circuits RIS et EAS en retenant ces débris tout en permettant un débit d’eau suffisant. A cet égard, un incident survenu en 1992 à la centrale nucléaire de Barsebäck (Suède) a soulevé de nouvelles questions concernant le risque de colmatage des filtres. La centrale de Barsebäck étant du type réacteur à eau bouillante, d’une conception sensiblement différente de celle des réacteurs à eau sous pression, les investigations au niveau international ont porté en priorité sur les réacteurs à eau bouillante.
Il est néanmoins apparu progressivement que le fonctionnement des puisards des réacteurs à eau sous pression méritait d’être réexaminé. Les argumentations présentées par EDF n’ont pas été jugées pleinement convaincantes par l’IRSN. Plus précisément, l’Institut, après examen des données publiées sur le sujet, a mis en évidence des phénomènes sur lesquels subsistaient des incertitudes importantes, ce qui l’a conduit à engager un programme de recherches propre.
Dans le cadre de ce programme, l’IRSN a défini et financé des expérimentations qui ont été largement réalisées dans des pays d’Europe de l’Est de 1999 à 2003 ; la réalisation de ces expérimentations, sur les sujets suivants, a été suivie de façon étroite par l’IRSN :
- la délitescence des débris sous l'effet d’un débit d’eau (1 sur le schéma) : 77 essais ont été réalisés dans l’installation ELISA de l'Institut VUEZ (Institut de recherches sur les équipements énergétiques) en Slovaquie pour apprécier l’influence du type de calorifuge, du débit, de la température et de la qualité de l’eau, ainsi que l’influence de la présence de particules solides sur la perte de charge due à la présence de calorifuge sur une grille ;
- le transport vertical des débris et leur broyage dû aux obstacles (2 sur le schéma) : 30 essais ont été réalisés dans l’installation IVANA, également implantée à l’Institut VUEZ en Slovaquie pour apprécier la taille des débris produits en fonction de leur taille initiale, du débit d’eau et du type de calorifuge considéré ;
- les vitesses de transport horizontal des débris et leur sédimentation dans l’enceinte de confinement (3 sur le schéma) : 52 essais ont été réalisés dans l’installation VITRA de l'Institut EREC (Centre de recherches et d’études sur la sûreté des centrales électronucléaires) en Russie pour apprécier, en fonction du type et du nombre des débris, les vitesses d’eau au-dessous desquelles les débris sédimentent sur les planchers horizontaux de l’enceinte de confinement et ne participent donc pas au colmatage des filtres des puisards ;
- le mécanisme d’obturation des filtres (4 sur le schéma) : après une campagne de 15 essais préliminaires, onze essais représentatifs en vraie grandeur ont été réalisés dans l’installation MANON de l'Institut VUEZ en Slovaquie pour apprécier les quantités de débris pouvant conduire à une dégradation importante du fonctionnement ou à une perte des pompes assurant la recirculation de l’eau.
Les résultats obtenus ont été largement présentés dans des réunions internationales, par exemple à l’occasion du Forum annuel Eurosafe [1] 2002 organisé par l’IRSN et la GRS (Gesellschaft für Anlagen-und Reaktorsicherheit) et dans le cadre de groupes de travail du Comité sur la Sûreté des Installations Nucléaires (CSNI) de l’Agence pour l’Energie Nucléaire de l’OCDE [2]. Les travaux menés par l’IRSN en particulier, ont suscité l’intérêt de la Nuclear Regulatory Commission (USA), de STUK (Finlande), de l’Association Vincotte Nucléaire (Belgique) et de GRS (Allemagne) avec lesquels des réunions techniques se sont tenues en 2003. Une synthèse a été présentée en France au groupe permanent pour les réacteurs nucléaires ; l’avis de celui-ci a conduit l’autorité de sûreté nucléaire à demander à EDF d’examiner la question en priorité et de prendre position avant la fin de l’année 2003 (voir la lettre du 9 octobre 2003 sur le site www.asn.fr.).
Dans sa prise de position du 24 décembre 2003, EDF estime que les accidents non couverts par les dispositions existantes sont de probabilité faible mais que, néanmoins, des modifications des centrales seront effectivement nécessaires pour pouvoir démontrer la disponibilité de la fonction de recirculation de l’eau des puisards pour toutes les situations de dimensionnement retenues pour la conception des centrales à eau sous pression. Une définition de principe et un calendrier de réalisation de ces modifications devraient être transmis par EDF d’ici fin avril 2004 pour une mise en œuvre à partir de 2005 ; des dispositions transitoires sont également étudiées pour une mise en œuvre à plus court terme.
Il est à noter que le sujet du colmatage des puisards fait également l’objet de débats dans d’autres pays exploitant des réacteurs à eau sous pression, notamment aux Etats-Unis où la Nuclear Regulatory Commission (NRC) vient de diffuser une révision du Regulatory Guide 1.82 et où l’Advisory Committee on Reactor Safeguards –ACRS-(analogue au groupe permanent français) a souligné (lettre ACRS du 30 septembre 2003 adressée au Président de la NRC) les incertitudes qui subsistent quant à l’ampleur des actions produites par un jet issu d’une brèche sur les équipements et les structures et quant aux effets des réactions chimiques sur les lits fibreux déposés sur les filtres des puisards. Sur le plan technique, des discussions importantes sur l’état des connaissances et les actions à mener auront lieu lors d’un congrès organisé par le CSNI à Albuquerque (USA) en février 2004, où l’IRSN prendra une part très active.
Notes :
- Le forum Eurosafe a pour vocation d’offrir une plate-forme de discussion et d’information sur les principaux aspects de la sûreté nucléaire, il s’adresse aux experts des organismes techniques de sûreté nucléaire, des institutions de recherche, des producteurs d’électricité, des industriels du nucléaire ainsi que des pouvoirs publics et des organisations non gouvernementales. Le prochain Forum Eurosafe se déroulera à Berlin les 8 et 9 novembre 2004. Pour en savoir plus : www.eurosafe-forum.org
- OCDE : Organisation de coopération et de développement économiques