Savoir et comprendre

L'impact sanitaire de l’accident pour les travailleurs

13/09/2019

Selon le rapport de l'AIEA publié fin 1999 [1], 69 personnes ont été accidentellement exposées aux rayonnements dans les installations de la société JCO et autour de celles-ci. Pour la plupart de ces personnes, qui ne portaient pas de dosimètre, les valeurs des doses reçues resteront des estimations :

  • 56 personnes auraient reçu des doses de 0,1 à 23 milligrays (mGy) ;
  • les 3 ambulanciers ayant permis l'évacuation des victimes auraient reçu des doses estimées entre 0,5 et 3,9 mSv ;
  • concernant le public, au moins 7 maçons se trouvant à proximité du site auraient reçu une dose de 0,4 à 9,1 mSv.

    Les doses reçues par les personnes les plus irradiées - les trois opérateurs qui travaillaient dans l'atelier de conversion de l'uranium - ont été déterminées à partir d'analyses biologiques. Ces personnes ont été évacuées de l'atelier environ 15 minutes après le début de l'accident. Pour définir le meilleur traitement thérapeutique de ces personnes, la première étape a consisté à évaluer les doses qu'ils avaient reçues. Les scientifiques de l'Institut national des sciences radiologiques japonais (NIRS) ont utilisé plusieurs méthodes : ils ont mesuré notamment la part du sodium présent naturellement dans le sang, rendue radioactive par les rayonnements (neutrons) reçus ; ils ont aussi observé l'évolution des composants du sang (lymphocytes, polynucléaires et plaquettes) ; enfin, ils ont recherché les anomalies apparues sur les chromosomes des personnes irradiées. Ils ont ainsi estimé que les trois opérateurs avaient reçu respectivement environ 9 grays (Gy), environ 5 Gy et un peu plus de 1,2 Gy.

    La victime la plus gravement touchée tenait l'entonnoir servant à déverser l'uranium dissous dans la cuve. A 9 grays, la moelle osseuse est en grande partie détruite, ce qui effondre l'hématopoïèse, c'est-à-dire la "fabrication" des cellules sanguines. Pour restaurer cette fonction, il existe plusieurs techniques fondées sur l'injection de produits appelés facteurs de croissance qui ont justement la propriété d'activer l'hématopoïèse, et l'injection de cellules sanguines immatures -on parle alors de greffe- prélevées dans la moelle osseuse, le sang de cordon ombilical ou le sang ordinaire.

    Pour ce patient, les spécialistes japonais ont utilisé les plus récentes techniques de greffe de l’époque, une première dans un accident d'irradiation. Au lieu de ponctionner des cellules dans la moelle osseuse d'un donneur sous anesthésie générale, les médecins japonais ont injecté des facteurs de croissance à ce donneur, en l'occurrence la sœur du patient : l'un des effets de ces produits est de faire passer dans le sang les cellules immatures de la moelle. Cette opération limite les risques et permet, en cas de succès, d'accélérer la reprise de l'hématopoïèse. Les médecins ont ensuite injecté au patient les cellules immatures provenant de sa sœur.

    Du fait de la qualité des soins prodigués, l’opérateur le plus gravement irradié a survécu jusqu'au 21 décembre 1999, soit près de deux mois après l'accident. Personne n'avait jamais survécu aussi longtemps après avoir été exposé à une telle dose de rayonnements. Dans le passé, l'exposition qu'il a subie aurait entraîné son décès au bout d'une à deux semaines. Mais, même après la greffe, de nombreux problèmes subsistaient auxquels les spécialistes n'avaient jamais eu à faire face auparavant, et notamment une insuffisance respiratoire majeure, une insuffisance rénale et des brûlures très sévères et étendues sur les parties du corps exposées : bras, tête et poitrine. Ces très graves atteintes à l'organisme ont entraîné une défaillance multiple des organes, conduisant au décès du patient 83 jours après l’accident.

    Le deuxième opérateur se trouvait sur une plate-forme, occupé à verser la matière fissile dans la cuve. Pour lui aussi, les médecins japonais ont décidé de réaliser une greffe. Comme il n'y avait pas de donneur compatible dans sa famille et que l'interrogation d'un fichier aurait été beaucoup trop longue (3 mois), ils lui ont injecté du sang de cordon ombilical. Une opération effectuée pour la première fois dans ces circonstances. Cette greffe n'a pas réussi car la propre moelle osseuse du patient a repris sa fonction productrice des cellules sanguines. Le deuxième opérateur est décédé 211 jours après l’accident d’un syndrome de défaillance multiviscérale, compliqué par des brûlures radiologiques étendues.

    Le troisième opérateur se trouvait dans une pièce attenante, probablement à 5 mètres de l'accident. Ayant reçu une dose moins forte que les deux autres opérateurs, sa moelle osseuse a été moins gravement touchée. On lui a néanmoins injecté des facteurs de croissance, avec pour but cette fois, d'activer la production de cellules sanguines. Il a survécu sans rencontrer de problèmes que les moyens classiques de la médecine moderne n’aient pu surmonter.

 

 

[1] Report on the Preliminary Fact Finding Mission Following the Accident at the Nuclear Fuel Processing Facility in Tokaimura, Japan (IAEA, 1999)