Effets sanitaires des expositions à de faibles doses de rayonnements ionisants dans un contexte d’accident nucléaire : premiers résultats de l’étude EPICE à Tchernobyl
L'étude épidémiologique EPICE apporte des éléments de réponse quant aux effets non cancéreux radio-induits. Elle n'a pas permis d'observer d'association entre les arythmies cardiaques et les dépots en césium 137 chez les enfants vivants sur les territoires russes contaminés par les retombées de l’accident de Tchernobyl.
Les données scientifiques actuellement disponibles quant aux possibles conséquences sanitaires d’une exposition accidentelle aux rayonnements ionisants reposent essentiellement sur les enseignements tirés du suivi des cohortes d’Hiroshima et Nagasaki, au Japon, ainsi que des populations exposées aux retombées de l’accident de Tchernobyl, en Biélorussie, Ukraine et Russie. Les effets observés varient selon le type de rayonnement, le débit de dose et la population étudiée.
À long terme (quelques années à décennies), une augmentation du risque de leucémies et de cancers a été observée chez les survivants des bombardements d’Hiroshima et Nagasaki, ainsi qu’une augmentation des cancers de la thyroïde chez les enfants exposés aux retombées de l’accident de Tchernobyl en Biélorussie, Ukraine et Russie.
S’agissant des effets non-cancéreux, une relation entre le risque de maladies cardiovasculaires et d’opacités du cristallin (stade précoce de cataracte) et l’exposition aux rayonnements ionisants a été observée chez les survivants des bombardements d’Hiroshima et Nagasaki et chez les liquidateurs de Tchernobyl, mais des incertitudes majeures persistent sur l’existence de telles associations à faibles doses.
Périmètre de l'étude EPICE
Pour répondre à cette question, l’IRSN a mis en place en 2005 le programme Évaluation des Pathologies potentiellement Induites par une contamination chronique au CEsium (EPICE) en vue de recueillir des informations scientifiques quant aux effets non cancéreux induits par des expositions chroniques à des faibles doses de rayonnements ionisants et de répondre à une question sociétale relative aux conséquences sanitaires de l’accident nucléaire de Tchernobyl au sein d’une population sensible (enfants).
Territoires et population concernés par l’étude EPICE
L’oblast de Bryansk, en Russie, est situé au nord-est de la centrale nucléaire de Tchernobyl. Une partie de ses territoires a été contaminée par des dépôts en césium 137 suite à l’accident. L’étude EPICE a porté sur le dépistage systématique des arythmies cardiaques sur près de 18 000 enfants âgés de 2 à 18 ans vivant dans les territoires contaminés (dépôt en 137CS > 37 KBq/m²) et non contaminés de l’Oblast.
© UNSCEAR - Concentration des dépôts en césium 137
Etude EPICE : Enfants inclus dans l'analyse
Après une phase pilote s’assurant de la faisabilité du projet et des conditions de mise en œuvre d’une étude épidémiologique sur une population de plusieurs milliers d’enfants, le second volet du programme EPICE, axé sur les arythmies cardiaques, a démarré en mai 2009, en partenariat avec le Centre de diagnostic clinique de Bryansk (Russie).
Cette étude transversale avait pour vocation de déterminer la prévalence des arythmies cardiaques (en fonction de la contamination du territoire et de la charge corporelle en césium 137 de la population d’étude) dans la région de Bryansk située au sud-ouest de la Russie et à proximité des frontières ukrainiennes et biélorusses, et d’évaluer si le césium 137 constituait ou non un facteur associé à l’apparition des arythmies cardiaques.
Pour répondre à ces interrogations, une campagne de mesure a été conduite pendant quatre ans sur 18 152 enfants âgés de 2 à 18 ans. Elle a consisté en la réalisation systématique d’un électrocardiogramme, d’une échographie cardiaque et d’une mesure de l’activité corporelle en césium 137 pour toute la population de l’étude. Par ailleurs, certains enfants ont bénéficié également d’un enregistrement sur 24 heures des paramètres électriques cardiaques (Holter) ainsi que d’un bilan biologique des principaux marqueurs cardiaques plasmatiques.
Premiers résultats
L’ensemble de ces examens a permis de diagnostiquer 2 526 enfants atteints d’arythmie cardiaque. Après une analyse statistique approfondie des données collectées sur le terrain, sur la période 2009-2013, la prévalence des arythmies cardiaques estimée dans les territoires contaminés est significativement plus faible que dans les territoires non contaminés. S’agissant de la charge corporelle en césium 137, aucune association n’a pu être mise en évidence. Le césium 137 ne constitue donc pas un facteur associé à l’observation d’arythmie cardiaque dans le cadre de l’étude EPICE.
Taux d’arythmie cardiaque dans l’oblast de Bryansk (2009-2013) : La prévalence des arythmies cardiaques estimée dans les territoires contaminés chez des enfants de 2 à 18 ans est significativement plus faible que dans les territoires non contaminés.
Taux d’arythmie cardiaque dans l’oblast de Bryansk selon la charge corporelle en césium 137 (2009-2013) : La prévalence des arythmies cardiaques ne diffère pas significativement entre les enfants contaminés et les enfants dont la contamination en césium 137 est non détectable.
Cette étude épidémiologique, unique de par son ampleur et la quantité des données recueillies, apporte ainsi des éléments de réponse particulièrement bien documentés quant aux effets non cancéreux radio-induits chez les enfants vivants sur les territoires russes contaminés par les retombées de l’accident de Tchernobyl, thématique faisant débat depuis de nombreuses années.
Cet article, publié dans BMJ Open, la version en accès libre de la prestigieuse revue The British Medical Journal, est le premier d’une série de plusieurs publications à venir qui rendront publics les autres enseignements tirés du programme EPICE, dont notamment les conclusions suite au dépistage à grande échelle des opacités du cristallin dans un groupe similaire d'enfants vivants dans la même région de Russie.