Influence des processus osmotiques sur l’excès de charge hydraulique mesuré dans la formation argileuse du Toarcien/Domérien de Tournemire (Aveyron, France)
Joachim Tremosa a soutenu sa thèse mardi 30 novembre 2010
Dans le cadre des études portant sur la faisabilité d’un stockage de déchets radioactifs dans des formations argileuses, la signification des pressions interstitielles est une question importante pour comprendre les transports d’eau et de solutés. Dans les formations argileuses de très faible perméabilité, comme celle étudiée par l’ANDRA dans le Callovo-Oxfordien du bassin de Paris, la pression interstitielle est fréquemment supérieure à la pression hydrostatique théorique ou à la pression dans les aquifères encaissants. Une telle surpression est aussi enregistrée au sein de la formation argileuse du Toarcien/Domérien (k = 10-21 m2), étudiée par l’IRSN au laboratoire souterrain de recherche de Tournemire (Aveyron). Le profil de charge hydraulique, qui présente un excès de charge de 30 +/- 10 m, est précisé dans ce manuscrit. Cette surpression peut-être due à des déséquilibres de compaction de la formation argileuse, à l’histoire diagénétique de la roche, à des compressions tectoniques, à des changements de conditions hydrodynamiques aux limites de la formation ou à des phénomènes d’osmose. Parmi ces causes potentielles, l’osmose chimique et l’osmose thermique, respectivement, un flux d’eau sous un gradient de concentration et sous un gradient de température, sont susceptibles de se développer dans les milieux argileux par le fait de la faible taille des pores et des interactions électrostatiques liées aux charges de surface des minéraux argileux.
Le travail effectué a consisté à étudier et quantifier l’importance de chacun des processus responsables des surpressions à Tournemire. Les paramètres de couplage associés aux deux processus osmotiques, l’osmose chimique et la thermo-osmose, ont été acquis expérimentalement et à l’aide de modèles théoriques. Les modèles théoriques se fondent sur la reproduction des interactions qui ont lieu entre la surface chargée des minéraux argileux et la solution porale et leur mise à l’échelle macroscopique du volume élémentaire représentatif. Le phénomène d’osmose chimique est lié à l’exclusion anionique et nécessite la résolution d’un modèle électrique d’interactions. Un modèle triple couche considérant le recouvrement des couches diffuses a été amélioré durant cette thèse pour prendre en compte l’effet des solutions multi-ioniques, i.e. plus proche de la composition des eaux naturelles, et de mieux contraindre l’efficacité chemo-osmotique ε. La thermo-osmose est moins bien caractérisée de telle sorte qu’il n’existait pas d’expression macroscopique satisfaisante pour calculer la perméabilité thermo-osmotique kT, ni d’expériences de thermo-osmose sur matériaux naturels. Ce processus est interprété comme étant causé par un changement des propriétés de l’eau liée à la surface des minéraux argileux par rapport à celles de l’eau libre. Nous proposons ici un modèle prédictif de la perméabilité thermo-osmotique basé sur la modification des liaisons hydrogène autour des molécules d’eau proche de la surface du solide et ayant pour seules données d’entrée des paramètres pétrophysiques et les conditions du milieu (concentration de l’eau porale de température).
Les expériences d’osmose chimique et thermique ont été réalisées sur échantillons d’argilite de Tournemire et dans un forage équipé d’une chambre de test à la Station Expérimentale de Tournemire. Ces expériences ont consisté à induire un gradient de concentration ou de température à travers un échantillon pour les expériences en laboratoire et entre la chambre de mesure d’un forage et la formation pour les expériences sur site. Les flux osmotiques associés sont évalués grâce à l’interprétation de l’évolution des pressions dans les intervalles de mesure avec un modèle hydro-thermo-chemo-mécanique fondé sur les lois de conservation de la masse combinées avec les équations de flux couplés. L’inversion des signaux de pression mesurés permettent d’obtenir l’efficacité d’osmose chimique (ε entre 0.014 et 0.31) ainsi que la perméabilité thermo-osmotique (kT entre 6.10-12 et 2.10-10 m2 K-1 s-1) de l’argilite de Tournemire.
En parallèle à la caractérisation des processus osmotiques dans la formation argileuse de Tournemire, les profils de composition de l’eau porale et de température ont été établis. Le profil de température a été obtenu par mesure directe dans plusieurs forages. Le profil de composition de l’eau porale a nécessité le développement d’un modèle géochimique visant à reproduire les réactions d’équilibre thermodynamique avec les phases minérales et par échanges cationiques entre la roche argileuse et la solution porale. Ajouté au fait que le profil de concentration chimique est la force motrice de l’osmose chimique dans la formation, la composition de l’eau porale est une donnée nécessaire pour calculer le coefficient d’efficacité chemo-osmotique.
Enfin, la caractérisation des processus osmotiques et des différents profils de force motrice nous a permis d’estimer la contribution des phénomènes osmotiques et hydrauliques au profil d’excès de charge hydraulique observé dans la formation de Tournemire. Des considérations sur le comportement hydromécanique de la formation argileuse ont permis d’écarter les autres causes possibles d’excès de charge et ont conduit à la conclusion que seuls les processus hydraulique, lié à la variation de la perméabilité intrinsèque au sein de la formation, et osmotiques expliquent le champ de pression dans la formation. Nos résultats pointent particulièrement l’importance de la variation au sein de la formation des coefficients de perméabilité hydraulique et osmotique dans la génération d’un excès de charge.