Nouveaux radionucléides en médecine nucléaire pour des actes à visées diagnostique, ou thérapeutique
[Mis à jour le 13 décembre 2023]
La médecine nucléaire connaît actuellement un fort développement en thérapie et en diagnostique, généralement au travers d’une approche théranostique dans le monde, notamment en raison des nouvelles applications thérapeutiques potentiellement à large échelle du lutétium 177 dans le cadre de certains cancers de la prostate (177Lu-PSMA-617).
Dans ce contexte, en avril 2020, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a demandé à l’IRSN de réaliser une expertise sur les perspectives d’utilisation clinique de nouveaux radionucléides en médecine nucléaire en France et les questions de radioprotection associées.
L’IRSN a ainsi conduit successivement des travaux qui ont permis l’élaboration de 4 avis et rapports associés.
1. En février 2021, l’avis IRSN n°2021-00016 et le rapport IRSN n°2021-00083 proposent un classement des radionucléides jugés les plus prometteurs par l’IRSN concernant leur probabilité de développement en France dans le futur et présentent les données biologiques pertinentes disponibles au regard de la radioprotection recueillies dans la littérature pour ces radionucléides.
Sur la base des facteurs d’influence et indicateurs identifiés et des auditions conduites auprès des parties prenantes, l’IRSN a établi une liste de radionucléides prometteurs à visée diagnostique et à visée thérapeutique et propose leur classement selon quatre catégories en fonction du caractère plus ou moins probable d’utilisation future chez l’Homme en France dans les services de médecine nucléaire.
Les radionucléides identifiés comme les plus prometteurs, classés en catégorie 1 (arrivée avec certitude) et 2 (arrivée très probable) sont pour les applications à visée diagnostique le Gallium 68, le Rubidium 82, le Cuivre 64 et le Zirconium 89, et pour les applications à visée thérapeutique le Lutétium 177, le Radium 223, l’Holmium 166 et l’Actinium 225.
En annexe du rapport, chacun des huit radionucléides jugés les plus prometteurs par l’IRSN fait l’objet d’une fiche regroupant les données de biocinétique pertinentes pour des questions de radioprotection.
2. En juin 2021, l’avis IRSN n°2021-00117 et le rapport IRSN n°2021-00484 sont consacrés aux questions de radioprotection des patients dans le contexte d’une utilisation thérapeutique (planification individuelle du traitement), et de leur entourage. Ils abordent :
- les aspects relatifs à la règlementation et aux recommandations européennes concernant la planification individuelle de traitement en radiothérapie interne vectorisée (RIV) ;
- les logiciels de planification de traitement en médecine nucléaire ;
- l’exposition de l’entourage du patient après un traitement de RIV.
Concernant la radioprotection des patients en RIV, la revue de la littérature montre que des travaux sont encore nécessaires pour améliorer les connaissances et la radioprotection des patients. Ainsi, à l’issue de l’expertise menée, l’IRSN formule des propositions de travaux complémentaires à conduire pour :
- lever les ambiguïtés réglementaires. Pour cela, il serait nécessaire :
- d’examiner, avec les autorités de régulation compétentes au niveau européen, et en collaboration avec les sociétés savantes et professionnelles médicales concernées, la possibilité d’inclure dans les autorisations de mise sur le marché (AMM) un mode de délivrance du traitement basé sur une approche dosimétrique, et non plus uniquement sur une approche basée sur une posologie prédéfinie ;
- d’inciter à ce que les essais cliniques concernant de nouveaux médicaments radiopharmaceutiques, en vue de l’obtention d’une AMM, comprennent un volet dosimétrique afin d’avoir une meilleure connaissance de la relation entre dose absorbée, efficacité clinique et effets secondaires ;
- de préciser l’implication des physiciens médicaux dans les services de médecine nucléaire réalisant des actes thérapeutiques. Il convient de noter que, sur ce sujet, un projet de décret est en cours au niveau de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) ;
- améliorer les connaissances en radiobiologie. Pour cela, la recherche devrait s’intensifier afin :
- d’obtenir les courbes de survie cellulaire pour les organes à risque et les organes cibles avec les radiopharmaceutiques marqués (études in vitro) et comparer ces courbes au rayonnement externe de référence ;
- d’obtenir les relations dose-effet chez l’animal à l’aide de modèle in vivo et comparer ces relations au rayonnement externe de référence ;
- d’étudier, in vivo ou in vitro, l’effet du débit de dose et de la répartition non uniforme d’activité ainsi que les modulateurs de la réponse au rayonnement (e.g. stimulation du système immunitaire) ;
- consolider les connaissances concernant les relations dose-effet. A cette fin, il serait nécessaire:
- de conduire des essais cliniques intégrant une évaluation systématique des doses ;
- d’harmoniser et de développer les pratiques dosimétriques ;
- de disposer de logiciels de calculs de dose performants ;
- de disposer de ressources en personnels formés à la dosimétrie.
Constituer des bases de données ou registres comportant les examens d’imagerie et les informations sur le traitement délivré pourrait également s’avérer utile. Ces données permettraient une exploitation et une étude a posteriori des évaluations de doses, des images reconstruites, ou de la biocinétique pour, à terme, disposer de données fiables sur des relations dose-effet.
Concernant l’exposition de l’entourage des patients, l’IRSN formule des propositions de travaux complémentaires à conduire concernant :
- la biocinétique des médicaments radiopharmaceutiques : les paramètres biocinétiques (périodes effectives et fractions des composantes à décroissance rapide et lente dans les modèles bi-exponentiels) apparaissent difficiles à déterminer, du fait de variations importantes entre les patients, comme le montrent les articles publiés à l’issue des essais cliniques. Des études sur les patients traités en routine pourraient permettre de compléter les données publiées. Disposer de données à des temps longs pour mieux estimer les périodes effectives de décroissance lente, et pouvoir « personnaliser » les paramètres biocinétiques, permettrait de réduire les incertitudes associées au calcul des durées de restriction de contact et d’adapter ces durées au mieux pour chaque patient.
- les données sur la contamination des proches par le patient : ces données sont rares et portent essentiellement sur l’iode 131. Des études devraient être conduites pour estimer ces éventuelles contaminations et le temps pendant lequel un risque existe pour l’entourage. Ces données permettaient de donner au patient une durée pendant laquelle des précautions destinées à limiter les risques de contamination doivent être appliquées. Cette problématique se pose notamment pour les radionucléides émetteurs alpha, pour lesquels le risque d’exposition externe ne justifie en général pas de restriction des contacts, mais qui présentent une forte radiotoxicité en cas d’incorporation.
Les propositions formulées par l’IRSN à l’issue de son expertise devraient permettre d’améliorer encore la radioprotection des patients en RIV et de leur entourage, tant pour les nouveaux radionucléides que pour ceux déjà utilisés. Ces propositions pourraient utilement faire l’objet d’une discussion avec les professionnels de la médecine nucléaire.
3. En octobre 2021, l’avis IRSN n°2021-00175 et le rapport IRSN n°2021-00753 traitent des questions de radioprotection des travailleurs dans les établissements de santé, des transporteurs sanitaires et des travailleurs des systèmes d’assainissement.
Une analyse des données disponibles pour les nouveaux radionucléides concernant la radioprotection des travailleurs dans les établissements de santé a été réalisée, incluant notamment des données issues d’une enquête réalisé par l’IRSN à l’été 2021 auprès de 15 services de médecine nucléaire utilisant de nouveaux radionucléides. Cette analyse a montré que, à la connaissance de l’IRSN, les données de radioprotection des travailleurs pour les nouveaux radionucléides sont rares, notamment celles obtenues en conditions réelles dans le cadre de la prise en charge de patients. Le partage d’informations et le retour d’expérience entre les services de médecine nucléaires pionniers dans l’utilisation des nouveaux radionucléides pourrait être bénéfique pour les services qui commencent à les utiliser.
Concernant la surveillance de ces travailleurs pour les nouveaux radionucléides, sont présentées les limites de détection en anthroporadiométrie et radiotoxicologie pour les nouveaux radionucléides et les durées pendant lesquelles une contamination incidentelle entrainant une dose efficace de 1 mSv serait détectable.
S’agissant des transporteurs sanitaires, des estimations de l’exposition lors d’un trajet ont été effectuées pour les actes courants de médecine nucléaire. Ces estimations ont montré que les actes diagnostiques courants (scintigraphie et tomographie d’émission de positons) représentent une source d’exposition majoritaire comparées aux actes thérapeutiques et aux actes incluant des nouveaux radionucléides tels que le Lutétium 177 en thérapie et le Gallium 68 en diagnostic.
Concernant les travailleurs des systèmes d’assainissement, les coefficients de dose efficace ont été calculés pour les nouveaux radionucléides, en vue de la mise à jour du logiciel CIDRRE (calcul d’impact des déversements radioactifs dans les réseaux) développé par l’IRSN. Pour le cas du Lutétium 177, du fait de son utilisation croissante, la prise en compte de sa répartition eau-boue et de sa biocinétique ont permis une estimation plus précise des coefficients de dose. Ces nouveaux coefficients permettront aux services de médecine nucléaires ainsi qu’aux gestionnaires des systèmes d’assainissement d’effectuer des estimations de dose efficace afin de s’assurer du respect des limites règlementaires pour les travailleurs de l’assainissement.
4. En janvier 2023, l’avis IRSN n°2023-00004 et le rapport IRSN n°2023-00026 traitent des problématiques de radioprotection des travailleurs lorsqu’un décès de patient survient peu de temps après un acte de médecine nucléaire, à savoir le personnel funéraire dans le cadre des opérations de transport avant la mise en bière et de soins au corps, et les personnels des crématoriums.
A partir de l’analyse des recommandations de radioprotection suite à un décès de patient de médecine nucléaire, émanant de plusieurs pays d’Europe membres d’HERCA, des Etats-Unis, du Canada, de la Commission Européenne et des instances internationales (Commission internationale de protection radiologique, Agence internationale de l’énergie atomique), l’IRSN propose plusieurs recommandations qui pourraient être appliquées en France, relatives notamment à un calculateur du délai d’attente après le décès pour prendre en charge le corps, à un calculateur de la durée minimale entre administration et décès permettant de prendre en charge le corps immédiatement après le décès, à une carte de sortie que le patient doit garder sur lui après sa sortie de l’hôpital et à des fiches réflexes pour les travailleurs funéraires.
Par ailleurs, des estimations des doses aux travailleurs funéraires et aux travailleurs des crématoriums ont été réalisées par l'IRSN et des recommandations ont été formulées concernant la conduite à tenir vis-à-vis de la prise en charge du corps en fonction des radionucléides qui ont été administrés.
Au vu des doses susceptibles d’être reçues par les travailleurs funéraires effectuant le transport avant la mise en bière et les soins au corps, pour quatre nouveaux radionucléides prometteurs considérés, le 223Ra et l’225Ac ne requièrent aucune disposition particulière de radioprotection. En revanche, le 177Lu et 166Ho conduisent à différer de quelques jours la prise en charge du corps, avec un maximum de cinq jours pour le 177Lu-DOTATATE pour les soins au corps, afin de respecter un critère de dose de 300 µSv par opération. Ces délais n’excédent toutefois pas les délais règlementaires de prise en charge.
Concernant les travailleurs des crématoriums, seul un nombre réduit d’opérations pour certains radionucléides (et uniquement à visée thérapeutique) peuvent conduire à des doses supérieures à 300 μSv par crémation. La rareté de ces configurations ajoutée aux hypothèses très conservatives utilisées dans les calculs conduisent à une probabilité très faible de dépassement de cette valeur. De plus, le suivi par le crématorium des recommandations de l’IRSN émises dans l’étude (notamment concernant le système de filtration des fumées) permettrait de réduire drastiquement la dose reçue, bien en dessous de la valeur de 300 µSv.
Télécharger les documents