EPI-CT, une étude épidémiologique européenne pour estimer le risque de cancer suite à des scanners durant l’enfance

  • Actualité

  • Santé

  • Expertise

  • International

09/11/2023

L’étude EPI-CT, à laquelle l’IRSN a contribué en partenariat avec la SFIPP (Société Francophone d’Imagerie Pédiatrique et Prénatale) et la SFR (Société Française de Radiologie), montre que, même si ce risque est faible au regard du bénéfice diagnostique, il existe des excès de risque de développer une hémopathie maligne après des examens tomodensitométriques (scanners) chez l’enfant et le jeune adulte. Les résultats de cette étude viennent de paraitre dans la revue scientifique Nature Medicine.

Objectif de l’étude

La tomodensitométrie (scanner) est un outil diagnostique dont le bénéfice médical est clairement établi. Néanmoins, la possibilité d’un risque faible d’affections malignes induites par l’exposition aux rayonnements ionisants inhérente à ce type d’examen est prise en considération dans le système de radioprotection actuel, en particulier chez les enfants. Pour améliorer notre connaissance de la balance bénéfice-risque de l’examen scanner, il est important de mieux quantifier ce risque de cancer. 
L’objectif de l’étude européenne EPI-CT est de quantifier l’excès de risque de cancer associé à l’exposition aux rayonnements ionisants due à la réalisation d’un ou plusieurs scanners dans l’enfance et chez le jeune adulte. Les résultats de cette étude épidémiologique vont permettre de consolider la radioprotection des patients par rapport à ce type d’examen diagnostique.

Contexte

Les enfants sont particulièrement sensibles aux rayonnements ionisants comparativement aux adultes. La question du risque d’affection maligne associé à l’exposition médicale aux rayonnements ionisants à visée diagnostique pendant l’enfance est récurrente, d’autant que, depuis les années 1980, l’utilisation des examens radiologiques en pédiatrie a augmenté dans la plupart des pays industrialisés. L’augmentation globale des doses de rayons X délivrées aux enfants est principalement liée à l’emploi du scanner, technologie d’imagerie très performante et indispensable pour la prise en charge de nombreuses maladies, mais délivrant les doses les plus élevées parmi les techniques d’imagerie. Depuis 2012, environ 100 000 examens tomodensitométriques de la tête, 17 000 du thorax et 24 000 de l’abdomen et du pelvis sont réalisés annuellement en France chez des patients âgés de 0 à 15 ans.
Les doses de rayonnements ionisants délivrées par un scanner restent dans le domaine des doses dites « faibles » pour les expositions médicales. La dose reçue lors d’un scanner équivaut néanmoins à environ 3 années d’exposition à la radioactivité naturelle et elle est nettement plus importante que celle d’une radiographie classique (100 fois plus par exemple pour un scanner du thorax comparativement à une simple radiographie pulmonaire ). 
Une association entre l’exposition à de faibles doses de rayonnements ionisants au niveau de la tête due à des examens tomodensitométriques durant l’enfance et l’augmentation du risque de développer une tumeur cérébrale a été mise en évidence dans la cohorte EPI-CT dans une publication parue en novembre 2022 dans la revue scientifique Lancet Oncology. Ces résultats ont fait l’objet d’une précédente note de synthèse par l’IRSN. 
Pour les hémopathies malignes, en particulier les leucémies, une augmentation de risque a déjà été mise en évidence dans plusieurs études publiées depuis 2012, incluant des cohortes d’enfants exposés en France (cohorte « Enfant Scanner » conduite par l’IRSN), en Grande-Bretagne et en Australie. Le projet EPI-CT vient conforter les résultats précédemment publiés sur la base d’un plus grand nombre de patients, augmentant ainsi la puissance statistique de l’analyse.

Quelques chiffres de l’étude EPI-CT

  • Projet européen coordonné par le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) de l’OMS
  • 9 cohortes européennes : 1 million d’enfants suivis au moins un an après un 1er scanner
  • 276 services de radiologie impliqués, dont 23 en France
  • Période de suivi : de 1977 à 2014
  • Pour l’analyse du risque d’hémopathies malignes, incluant en majorité les leucémies et les lymphomes, les données de santé de 876 771 enfants suivis au moins 2 ans après le 1er scanner ont été analysées.

Synthèse des résultats de l’étude EPI-CT pour les hémopathies malignes

  • La durée moyenne de suivi des patients inclus dans l’analyse des hémopathies malignes à partir du 1er scanner reçu était de 8 ans.
  • Les patients ont été exposés à 1 331 896 scanners, soit 1,5 examen en moyenne par enfant.
  • Pour chaque scanner réalisé, la dose de rayonnements ionisants reçue au niveau de la moelle osseuse a été estimée car c’est l’organe où se forment les cellules sanguines. La dose cumulée par enfant, c’est-à-dire la somme des doses reçues à la moelle pour chaque scanner (certains enfants ayant été exposés plusieurs fois), était de 15,6 mGy en moyenne pour l’ensemble de la cohorte, mais de 20 mGy parmi les individus avec un diagnostic d’hémopathie maligne au cours du suivi.
  • Au cours du suivi des 876 771 enfants inclus dans cette étude, 790 cas d’hémopathies malignes ont été diagnostiqués, incluant 578 cas d’hémopathies malignes lymphoïdes et 203 cas d’hémopathies malignes myéloïdes. Le groupe des leucémies, à l’exclusion des leucémies lymphoïdes chroniques, représentait 34 % de l’ensemble des hémopathies malignes (271 cas).
  • L’étude montre un excès de risque de développer une hémopathie maligne après des examens scanners chez l’enfant et le jeune adulte ; ce risque augmente d’autant plus que la dose cumulée augmente. L’excès de risque estimé est de 1,96 pour 100 mGy (intervalle de confiance à 95% : 1,10-3,12). Le risque pour les patients exposés à plus de 50 mGy est 2,7 fois plus élevé que celui des patients exposés à moins de 5 mGy (intervalle de confiance à 95% : 1,92-3,70). Ce risque diminue lorsque la durée depuis l’exposition au scanner augmente.
  • Compte tenu du risque estimé dans l’étude, pour 10 000 enfants ayant reçu un seul examen scanner (pour une dose estimée à la moelle de 8 mGy en moyenne), on s'attend à observer 1 à 2 cas d’hémopathies malignes attribuables à l'exposition aux rayonnements ionisants, dans la période de 2 à 12 ans suivant l'examen.

La très grande taille de l’étude a permis de réaliser des analyses complémentaires, notamment en excluant les patients avec les doses les plus élevées pour vérifier la solidité des conclusions. 
 

Comment interpréter ces résultats ?

Parmi les tumeurs malignes des enfants et adolescents, les hémopathies malignes sont les plus fréquentes ; environ 550 cas sont diagnostiqués chaque année en France parmi les 12 millions de jeunes âgés de 0 à 15 ans.
La dose délivrée au niveau de la moelle osseuse dépend de la zone exposée au scanner (tête, thorax, abdomen) et de l’âge lors de l’exposition (la quantité de moelle dans les différentes parties du corps variant au cours de la croissance de l’enfant). Si l’on considère les proportions de scanners de la tête, du thorax et de l’abdomen réalisés en France en fonction de l’âge des patients et en tenant compte des doses délivrées actuellement par les scanners, on peut estimer que la dose moyenne reçue au niveau de la moelle osseuse est de l’ordre de 3 mGy. En considérant cette dose pour 10 000 enfants ayant passé un examen tomodensitométrique de la tête, du thorax ou de l’abdomen, on s’attend à observer moins d’1 cas (0,5 cas) d’hémopathie maligne attribuable à la dose délivrée, survenant dans les 2 à 12 ans suivant l’examen.
Sachant qu’environ 146 000 scanners de la tête, du thorax et de l’abdomen sont réalisés chaque année en France chez les enfants de 0 à 15 ans, le nombre de cas d’hémopathies malignes attribuables à une année d’exposition au scanner serait de 8 dans la période de 2 à 12 ans suivant l'examen. Ces 8 cas sont à mettre en perspective avec les 5 500 hémopathies malignes survenant spontanément chez les enfants de 0 à 15 ans sur cette même période. 
L’étude EPI-CT confirme donc l’existence d’un excès de risque de développer une hémopathie maligne après des examens scanners réalisés chez l’enfant et l’adolescent et permet de l’estimer plus précisément grâce à la très grande taille de l’étude. Ce sur-risque reste cependant très faible au regard du bénéfice diagnostique des examens tomodensitométriques. 
Ces résultats confirment également les résultats déjà observés au niveau français dans la cohorte « Enfant Scanner », étude portant sur 100 000 enfants exposés au scanner en France dans 23 services de radiologie pédiatrique sur la période 2000-2010, réalisée en partenariat avec la SFIPP (Foucault et al, 2022 ). Elle a mis en évidence une augmentation significative du risque du risque de leucémie en fonction de la dose reçue au niveau de la moelle osseuse.

Enseignements

Ces résultats consolident les connaissances sur l’impact des rayonnements ionisants à faibles doses et confirment l’importance et l’utilité des principes de radioprotection déjà en vigueur. Ceux-ci visent à limiter les effets sanitaires des rayonnements ionisants à faibles doses, en maintenant l’exposition des patients à la plus faible dose possible, tout en considérant la balance bénéfice-risque de l’examen. En effet, le scanner est un outil extrêmement utile pour la prise en charge des maladies et il est important de ne pas renoncer à son utilisation lorsqu’il est nécessaire. 
Les règles de radioprotection déjà appliquées dans le domaine médical sont les suivantes :

  • le principe de justification : l’indication de l’examen est systématiquement vérifiée par le médecin-radiologue et l’examen n’est fait que s’il est indispensable et contributif pour la prise en charge médicale du patient ;
  • le principe de substitution : l’examen scanner est remplacé par un autre type d’examen n’exposant pas aux rayons X comme l’IRM ou l’échographie lorsque cela est possible dans un délai compatible avec l’urgence. On observe ainsi une constante évolution des pratiques en pédiatrie et une augmentation du nombre d’IRM réalisées depuis une dizaine d’années alors que la fréquence des scanners n’augmente plus ; 
  • le principe d’optimisation : si le scanner est nécessaire, et tout particulièrement pour les enfants, le médecin-radiologue doit employer la dose la plus faible possible tout en maintenant une qualité d’examen suffisante à l’obtention du diagnostic de la maladie recherchée. 

Accéder à l’article sur le risque d’hémopathie maligne : Bosch de Basea M, Thierry-Chef I, Harbron R et al. Risk of haematological malignancies from CT radiation exposure in children, adolescents and young adults. Nat Med. Doi: 10.1038/s41591-023-02620-0

Pour en savoir plus

Projet européen EPI-CT :

 

Cohorte Française « Enfant Scanner » :

 

Scanners pédiatriques en France :

L’IRSN a récemment publié un rapport basé sur les données de l’Assurance Maladie sur le nombre d’actes scanner réalisés en France chez les enfants entre 2012 et 2018. Environ 180 000 examens scanners sont réalisés en France annuellement chez l’enfant de 0 à 15 ans, dont près de 100 000 de la tête.