Interview croisée de Jean-Christophe Niel, directeur général de l’IRSN, et de Michel Badré, président du comité ODISCÉ
Jean-Christophe Niel, pourquoi décider de mettre en place ODISCÉ ? Qu’attendez-vous de ce nouveau comité ?
JCN : Depuis sa création en 2002, l’IRSN est engagé dans l’ouverture à la société. Il le fait au travers de ses experts, de ses chercheurs. Il s’agit in fine, de renforcer la pertinence de nos travaux qu’ils soient de recherche ou d’expertise, dans la surveillance ou la préparation et la gestion de la crise. Cet engagement dans la durée est formalisé par une charte de 2009, c’est un axe stratégique de nos contrats d’objectifs successifs, il est animé et porté par une unité dédiée.
A l’occasion du bilan de 10 ans de mise en œuvre de la charte, si le bilan de l’engagement pour l’Ouverture à la société de l’IRSN est apparu très positif, nous nous sommes interrogés sur la manière de renforcer encore les interactions entre l’IRSN et la société. Il s’agit notamment, de réfléchir sur de nouveaux modes d’interaction et sur l’élargissement des parties prenantes impliquées.
C’est l’objectif de cette nouvelle instance de dialogue dont la création est au COP signé avec l’Etat en 2019. Je souhaite que ce comité ODISCÉ formule des recommandations qui nous aident à intégrer de nouveaux questionnements ou de nouvelles données dans nos pratiques, qu’il n’hésite pas à nous bousculer. Il s’agit pour l’IRSN d’être encore plus un institut scientifique et citoyen contribuant à la démocratie sanitaire et environnementale. »
Michel Badré, pourquoi avoir accepté de prendre la présidence de ce comité ?
MB : Parce que je pense qu’il n’y a pas de science ou de technique utile, ni de décision démocratique solide dans les domaines techniques complexes, si les experts et la société ne dialoguent pas en profondeur.
Cette conviction m’est venue de plusieurs expériences directes : l’examen des grands projets et programmes à l ‘Autorité environnementale, la médiation sur le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, le débat public sur le plan de gestion des matières et déchets radioactifs, et la commission de parties prenantes sur les orientations de ce plan. Dans chacun de ces cas, un dialogue exigeant s’imposait, et il a été porteur de progrès. C’est le meilleur et parfois le seul moyen de renforcer la confiance entre les experts et les citoyens, voire simplement de la faire exister.
Jean-Christophe Niel, quels sont les premiers sujets que vous souhaiteriez confier à ODISCÉ ?
JCN : Les membres du comité vont nous recommander ou nous suggérer les sujets qu’ils estiment utiles à investiguer avec l’IRSN. Nous allons organiser les échanges pour ça !
Les membres vont nous aider à définir notre feuille de route pour les années qui viennent. Ce sera aussi leur feuille de route d’une certaine manière.
Cela étant, il y a trois sujets d’importance que j’aimerais évoquer avec ODISCÉ : la participation des jeunes générations à la production de savoirs dans le domaine du risque nucléaire et radiologique, la participation des patients à la radioprotection médicale, l’implication des citoyens comme acteurs de la surveillance de la radioactivité dans l’environnement de leur territoire.
Michel Badré, quels objectifs vous fixez-vous pour ce comité ?
MB : Susciter d’abord, au sein du comité, un dialogue permettant à tous les membres et aux experts de l’IRSN de se parler et de s’écouter, dans l’analyse des questions qui nous seront posées.
Formuler ensuite, grâce à ce dialogue interne, des réponses constructives et précises, fondées sur des méthodes permettant dans la société des échanges constructifs entre les experts, les citoyens et les politiques.
Jean-Christophe Niel, l’IRSN mène une politique d’ouverture à la société et partage une charte dédiée avec d’autres organismes publics d’expertise et de recherche. Pensez-vous que cette culture du dialogue soit à promouvoir auprès des experts et chercheurs ?
JCN : Absolument ! Un des engagements de la charte inter-instituts vise justement à renforcer la capacité de l’ensemble des collaborateurs à associer d’autres catégories d’acteurs à leur travaux (notamment ceux censés en être les bénéficiaires ultimes).
L’idée c’est d’associer les salariés de l’Institut, de les impliquer. Par exemple, des journées de sensibilisation sont proposées aux salariés, avec des jeux de rôles.
L’ouverture à la société, l’OS, est une composante des métiers de chercheurs et d’experts. Je fais d’ailleurs le constat que ceux qui y goute, y revienne !
L’interaction des experts et des chercheurs avec les membres du comité permettra de développer cette culture du dialogue.
Michel Badré, selon vous, la mise en place de ce type de comité est-elle une pratique qui se développe dans les structures publiques de recherche et d’expertise ? Ces outils d’impulsion de l’interaction science-société sont-ils à développer à l’avenir ?
MB : L’interaction entre les experts et la société est une pratique qui se développe, sous des formes diverses, et l’actualité de la Covid nous montre chaque jour depuis deux ans combien elle est nécessaire, mais pas toujours facile. Elle demande de la méthode, des cadres de dialogue, du temps. Elle doit permettre à chacun le plein exercice de ses droits et de ses responsabilités, qu’il s’agisse des experts, des citoyens ou des politiques. Sur les questions qu’il traitera, ce sera le rôle de notre Comité de proposer des solutions concrètes permettant cet exercice collectif et partagé des responsabilités scientifiques, techniques et démocratiques, dans la préparation des décisions à prendre. Dans le domaine de compétences de l’IRSN, comme sur d’autres sujets dont la complexité technique peut rendre le dialogue difficile, le développement de telles approches me semble indispensable, pour éviter les dérives symétriques du populisme et de la technocratie.