Un phénomène d’agrégation des neutrons dans un réacteur nucléaire observé pour la première fois
Théorisé en partie depuis plusieurs années, le phénomène d'agrégation des neutrons dans les réacteurs nucléaires a été mis en évidence expérimentalement pour la première fois. L'étude, réalisée par l'IRSN, en collaboration avec le Commissariat à l'Energie Atomique (CEA) et le Los Alamos National Laboratory (LANL) a récemment fait l'objet d'une publication dans la revue Nature Communications Physics. L'observation de la formation d'amas de neutrons dans le cœur d'un réacteur nucléaire à basse puissance ouvre de nouvelles perspectives pour mieux comprendre les mécanismes à l'œuvre lors du démarrage de la réaction en chaîne.
Vu du système de détection des neutrons (boîtier doté de sangles orange) positionné au plus près du réacteur. Source : IRSN
Dans les réacteurs nucléaires, les neutrons issus des réactions de fission peuvent créer de nouvelles réactions de fission (augmentant ainsi la puissance) ou disparaître par capture ou en sortant du réacteur (réduisant la puissance).
Cette phénoménologie se rapproche du concept statistique connu sous le nom de « ruine du joueur ». Celui-ci indique que même si un joueur à une probabilité significative de gagner, il sera néanmoins assuré de faire faillite après un grand nombre de paris.
Selon ce concept il existe donc une probabilité non nulle que les neutrons d'une même chaine de fission soient tous perdus et ainsi conduire à un arrêt de la réaction en chaîne et donc du réacteur. Jusqu'à présent, il était supposé que les contre-réactions thermo-hydrauliques compensaient ce phénomène ce qui expliquait la non extinction des réacteurs en pratique. Cependant, à l'occasion de cette étude, la réalisation d'expériences sans contre-réaction n'ont pas mis en évidence d'extinction.
Pour comprendre pourquoi le concept de ruine du joueur ne se vérifie pas, les chercheurs de l'IRSN, du CEA et du LANL ont utilisé un réacteur nucléaire de faible puissance pour suivre la durée de vie des neutrons individuellement, grâce aux techniques dites de « bruit neutronique », sujet de recherche traité à l'IRSN depuis quelques années.
Les résultats ont montré que l'on observe des agrégats de neutrons (on parle de clustering) dans certaines régions du réacteur, où les réactions de fission s'entretiennent, tandis que d'autres régions se vident de leurs neutrons et « s'éteignent », entraînant une production d'énergie asymétrique au sein du réacteur. L'équipe a également pu constater que l'extinction complète était évitée grâce aux sources intrinsèques qui lissent, sans la supprimer complètement, la tendance des neutrons à se regrouper. Elle empêche également la population de neutrons de subir des fluctuations trop importantes qui provoqueraient l'arrêt involontaire du réacteur.
Simulation numérique de l’expérience avec le code MORET développé par l’IRSN. Source : IRSN
Ces observations expérimentales ont été simulées et interprétées grâce au logiciel MORET développé à l’IRSN, et ont permis le développement d’une approche théorique.
La compréhension fine du comportement des neutrons est importante car elle ouvre la voie à des innovations dans le domaine de l’instrumentation nucléaire. En effet, en utilisant la connaissance fine du comportement des neutrons (intégrée dans les outils de simulation) pour interpréter les signaux produits par l’instrumentation, il est vraisemblablement envisageable d’améliorer significativement la détection d’une anomalie lors du démarrage d’un cœur de réacteur, ou la prévention de l’accident de criticité dans une installation du cycle du combustible.
Pour en savoir plus
- Retrouver l’article Patchy nuclear chain reactions sur le site de Nature
- Retrouver l’article du CEA Rencontre entre la théorie des jeux et la physique des réacteurs