Projet MARSCH
Lancé par l’IRSN en juin 2019, le projet de recherche en sciences humaines et sociales MARSCH (Méthode d’Analyse des Risques dans un Système sociotechnique Complexe et Humain) a pour objectif de développer une nouvelle approche de l’analyse des risques en radiothérapie. Ce projet est réalisé dans le cadre d’un partenariat entre le département de radiothérapie Gustave Roussy et le Laboratoire de Sciences humaines et sociales (LSHS) de l’IRSN.
Contexte
Les accidents graves en radiothérapie d’Épinal (détecté en 2006) et de Toulouse (détecté en 2007) ont engendré des victimes de sur-irradiations. Dans le cadre d’une obligation réglementaire[1], l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a notamment demandé aux unités de radiothérapie d’identifier toutes les situations pouvant porter atteinte à la sécurité des patients. Si cette cartographie des risques n’impose pas de méthode, elle fixe en revanche un objectif de résultat.
En radiothérapie, deux approches sont maintenant classiquement utilisées pour analyser les risques. La méthode dite a posteriori conduit à analyser des événements indésirables et la méthode a priori s'appuie sur l'analyse de défaillances techniques et humaines pour identifier des risques potentiels et s'en prémunir. La méthode a posteriori a longtemps été privilégiée à la méthode a priori mais les demandes de l’ASN dans la décision 2008-DC-0103, suite à la survenue des accidents d'Epinal et de Toulouse en radiothérapie, a conduit les unités de radiothérapie à appliquer les deux approches.
De nombreuses méthodes[2] d’analyse des risques a priori ont été développées aux États-Unis et en Europe et restent d’actualité dans les industries à risques pour gérer leurs risques techniques. Elles reposent sur l’hypothèse que des analystes vont être capables de prédire ce qui pourrait arriver en élaborant des scénarios d’événements réalistes. En France, une méthode industrielle, l’Analyse des Modes de Défaillances, de leurs Effets et de leur Criticité (AMDEC) a été transposée en radiothérapie suite à la décision de l’ASN.
[1] Décision ASN n°2008-DC-0103 et arrêté du 22 janvier 2009 portant homologation de cette décision de l’ASN
[2] Analyse Préliminaire des Risques (APR), l’Analyse des Modes de Défaillances, de leurs Effets et de leur Criticité (AMDEC), l’arbre des défaillances, le nœud papillon, les Hazard and Operability studies (HAZOP) et la Méthode Organisée Systémique d’Analyse des Risques (MOSAR)
Axes de recherche
L’AMDEC, une méthode controversée sur son efficacité pour analyser les risques encourus par les patients
La méthode AMDEC, appliquée à la radiothérapie, propose de segmenter un processus de soin à partir des fonctions assurées par différents acteurs (oncologue, radiothérapeute, physicien, dosimétriste, manipulateur, etc.) ce qui revient, en général, à étudier ses étapes. Il s’agit d’une méthode réductionniste dont l’objectif est de faciliter la compréhension d’un processus à partir de l’’identification et de l’évaluation des modes de défaillances techniques, humaines et organisationnelles – dans l’objectif d’améliorer la sécurité des patients de manière globale.
En 2014, l’IRSN engagea une recherche qui a consisté à comprendre les raisons des difficultés d’usage de la méthode AMDEC en radiothérapie. Cette recherche a été menée dans le cadre d’une thèse en ergonomie soutenue par Sylvie Thellier en décembre 2017, laquelle a mis en lumière certaines limites de la méthode :
- la décomposition du processus de soin en tâches et la non prise en compte des dimensions informelles du travail
- une difficulté à analyser les causes profondes des défaillances humaines et à faire le lien avec les situations risquées pour les patients
- des erreurs dans l’évaluation des risques en l’absence de leur contextualisation
la faible capacité de transformation pour améliorer la sécurité des soins. De façon plus générale, il en ressort que les risques de « ne pas administrer la bonne dose, au bon patient, au bon endroit, au bon moment » ne sont pas immédiatement apparents dans le travail individuel et collectif. Autrement dit, les professionnels de la santé n’arrivent pas toujours à mener une réflexion sur les risques à partir de la relation entre les causes des défaillances humaines et leurs effets. Il est difficile de « rendre le risque visible, palpable » dans une organisation complexe, telle que la radiothérapie.
Figure : Synthèse des 4 étapes de la méthode EPECT - © Médiathèque IRSN
Le projet MARSCH, une nouvelle approche de l’analyse des risques
En substance, le projet MARSCH, qui fait suite à la thèse de Sylvie Thellier, a pour objectif de consolider la nouvelle méthode d’analyse des risques développée entre 2014 et 2017. Celle-ci est fondée sur l’étude des fragilisations des modes de réussite – c’est-à-dire des pratiques – qu’une équipe soignante mobilise pour faire face à des situations de travail dégradées réelles ou réalistes. Cette approche appelée méthode EPECT (Espace de Partage et d’Exploration de la Complexité du Travail) repose sur 4 étapes : l’élaboration d’un scénario d’une situation de travail complexe et dégradée, l’identification des modes de réussite de l’équipe soignante dans cette situation de travail définie, la caractérisation des situations risquées et les axes de sécurisation des soins. Cette méthode est mise en œuvre au sein d’espaces de discussions dans lesquels interviennent des professionnels impliqués dans les traitements, pour confronter les points de vue intra-métiers et inter-métiers et les articuler.
C’est finalement en 2019 que le projet se concrétise. Celui-ci a été pensé selon deux phases.
Enrichir et finaliser la méthode EPECT (Phase n°1)
La première étape du projet MARSCH (qui a fait l’objet d’un premier rapport) a permis d'expérimenter trois applications de la méthode EPECT dans son intégralité. Les expérimentations ont été réalisées dans un centre de lutte contre le cancer en Île-de-France. L'analyse des données recueillies a permis de préciser les principes de chaque étape de cette nouvelle méthode d'analyse des risques et de dégager cinq résultats originaux pour outiller ce type d'analyse.
Figurine : illustration des différences entre les modes de réussites risquées et les modes de réussites sécurisés
Premièrement, guider la mise en discussion du travail par une technique, tel que le scénario, n'est pas suffisant pour permettre un recueil de données utiles à la gestion des risques. Le cheminement de l'analyse du scénario doit également être précisé.
Deuxièmement, la définition des frontières du système sociotechnique à partir du processus à étudier et de ses étapes, dès le début de l'analyse des risques, limite l'exploration d'espaces et d'interfaces qui pourraient être utiles à la gestion des risques.
Troisièmement, la traçabilité des discussions en temps différé à partir de leur enregistrement permet, au-delà de la transmission du contenu des échanges, de mener une analyse individuelle et collective des données discutées.
Quatrièmement, face aux limites de l'évaluation quantitative des risques dans des systèmes sociotechniques complexes, cette méthode propose de hiérarchiser les axes d'amélioration plutôt que les situations risquées. Cette hiérarchisation s'effectue par un mouvement de regroupement des réflexions ou mesures à mener plutôt que le renoncement de certaines d’entre elles ou leur report.
Cinquièmement, le paradoxe porté par la notion de « modes de réussite potentiellement risqués » est utile à la gestion des risques. Cette notion permet de capter des éléments d'organisation et de contexte qui sont susceptibles de rendre risqué un mode de réussite.
Améliorer l’implication de la ligne managériale dans l’analyse des risques (Phase n°2)
Cette deuxième phase du projet a pour objectif de définir des modalités de coopération entre le niveau opérationnel et la ligne managériale dans l’analyse de risques.
Lors de cette seconde phase, l’étude concerne plus particulièrement la restitution et la mise en discussion des plans d’actions issus des trois analyses des risques EPECT menées pendant la première phase du projet et leur utilisation comme des supports d’une co-construction opérationnelle et managériale de la sécurité des soins alors que les intérêts de ces deux niveaux sont susceptibles de diverger, voire d’être contradictoires.
Il s’agit d’analyser ce que deviennent les plans d’actions, depuis leur élaboration par la ligne opérationnelle lors d’analyses de risques jusqu’aux décisions prises par la ligne managériale et la direction. Au-delà d’une visée compréhensive, cette recherche a pour objectif de déterminer un engagement plus équilibré entre les besoins opérationnels et managériaux. Le deuxième rapport présentera l’appropriation des résultats de l’analyse des risques par la ligne managériale (manageurs, gestionnaires, direction) et les décisions qui en découlent. Il sera publié courant 2021.
Résultats attendus et finalités
Le projet MARSCH doit permettre à l’Institut de promouvoir une nouvelle approche d’analyse des risques sous l’angle des facteurs humains et organisationnels. Cette démarche sera matérialisée par la méthode EPECT qui constitue une diversification des propositions méthodologiques dans le domaine médical. Sa présentation sous une forme pédagogique (guide) devrait permettre sa mise en œuvre par les professionnels de santé.
Les résultats de ce projet pourront également renforcer l’expertise du Bureau Facteurs Humains et Organisationnels de l’IRSN lors de l’évaluation de démarches mises en œuvre par les exploitants pour produire des analyses de risques en phase de préparation d’interventions importantes pour la sûreté ou la radioprotection.
Les enjeux scientifiques sont relatifs au changement du cadre conceptuel de l’analyse des risques et au développement d’un outil permettant d’analyser les organisations et leurs effets sur la sûreté et la radioprotection (Cf rapport MARSCH 1). Cette recherche devrait permettre de mieux documenter et approfondir le cadre conceptuel des High Reliability Organizations[1] (HRO).
[1] Organisation de Haute Fiabilité : Concept (développé par K.H Roberts, 1990) suggérant que des systèmes interactivement complexes et fortement couplés peuvent fonctionner pendant de longues périodes avec peu d’accidents.
Les laboratoires impliqués
Laboratoires : Laboratoire de sciences humaines et sociales (LSHS)
LSHS
Le Laboratoire des sciences humaines et sociales (LSHS) de l’IRSN, créé en 2012, conduit des recherches sur les aspects humains, organisationnels et sociaux qui peuvent avoir un impact la sûreté nucléaire.
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