Savoir et comprendre

Après l'accident : Une population désemparée, en quête de sens

21/09/2023

En ce début d’après-midi du 11 mars 2011, tandis que le soleil fait p​eu à peu place à un ciel couvert, les habitants de la préfecture de Fukushima s’affairent à leurs occupations habituelles lorsqu'à 14h46, la terre se met à trembler. Un phénomène courant auquel les Japonais sont bien préparés mais, très vite, les secousses prennent une ampleur inédite, plongeant la vie des habitants dans le chaos. La brutalité du séisme précipite au sol le mobilier et son contenu, interrompt la circulation, disloque le réseau électrique, rompt les canalisations…

Quand vient la nuit, beaucoup se retrouvent privés d’eau et d’électricité, donc sans éclairage, ni chauffage, ni téléphone, ni télévision, tandis que de violentes répliques continuent d’ébranler les habitations. En raison du manque de moyens d’information, la plupart des habitants de la préfecture n’ont aucune vision d’ensemble de la situation et ignorent ainsi ce qui s’est passé sur la zone côtière.

D’une magnitude 9, le séisme de la côte Pacifique du Tohoku, au nord de Tokyo, constitue le séisme le plus puissant jamais enregistré au Japon. Le tsunami qu’il a entraîné a inondé plus de 500 km2, faisant près de 16 000 victimes, et a noyé les générateurs de secours de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. La fusion du combustible surchauffé dans le cœur de trois réacteurs de la centrale se traduira, entre le 12 et le 31 mars 2011, par un relâchement de radioactivité dans l’atmosphère estimé à 520 000 terabecquerels (TBq).​

De l’hébétude à la colère

Les premiers jours suivant l’accident se révélèrent particulièrement éprouvants, tant en raison des coupures de courant et d’eau que des conditions hivernales, suscitant chez de nombreux habitants un véritable sentiment d’abandon. La plupart d’entre eux étaient en effet comme assignés à résidence, faute de carburant ou de transports publics pour circuler. 

Pour beaucoup de personnes, le traumatisme initial s’est mué en désespoir au fur et à mesure que s’affirmait dans leur esprit le sentiment d’une perte totale de maîtrise de leur quotidien. Aucune échappatoire, pas la moindre idée quant à la conduite à tenir, une complète incapacité à agir par soi-même, à décider, fût-ce pour les choses les plus banales de la vie courante : sortir, rentrer chez soi, ouvrir les fenêtres pour aérer la maison, boire, manger, envoyer les enfants à l’école… Où prenait-on un risque ? Où n’en prenait-on pas ?

Les jours passant, en l’absence d’aide de la part des pouvoirs publics, le désespoir a fait place au doute quant à leur capacité à gérer l’urgence et, en fin de compte, à la colère.

Partir, rester, revenir ?

Dans les jours qui ont suivi l'accident, les autorités japonaises ont engagé des actions de protection des populations : d’abord vis-à-vis des conséquences immédiates des rejets radioactifs, puis vis-à-vis des dépôts radioactifs formés lors de la dispersion atmosphérique des rejets (exposition externe au rayonnement émis par les dépôts et risque de contamination interne par ingestion de denrées contaminées). 

Compte-tenu de la situation radiologique du territoire, ces mesures de protection ont été amenées à évoluer à plusieurs reprises au fil des mois et des années qui ont suivi l'accident. Une situation difficile à vivre et à comprendre pour les populations concernées, en manque de connaissances et de repères sur le risque radiologique et qui doivent pourtant prendre la décision de rester chez eux, de partir s'installer ailleurs ou de retourner chez eux une fois les mesures d'évacuation levées.

Pour tous ceux qui habitent dans un rayon de 20 km autour de la centrale nucléaire endommagée (près de 90 000 personnes), la question d'un retour ne se pose guère​​ : en raison d’une décision gouvernementale, ils n’ont eu d’autre choix que de quitter la zone pour rejoindre un habitat temporaire, situé à plus grande distance de la centrale. 

Mais pour ceux qui habitent en dehors de la zone interdite, la situation est très différente : c’est à eux que revient la décision. Rester ou partir ? Rester signifie faire face à un ennemi intrusif, invisible et permanent, se tro​​uver séparé de ceux – famille et voisins – qui ont fait le choix de partir. Mais cela veut dire également conserver ses points de repère, son travail, ses moyens de subsistance.

Partir, c’est mettre du champ entre soi et le danger lié à la radioactivité, pouvoir avoir confiance dans ce que l’on mange, recouvrer la maîtrise de sa vie, trouver un refuge. Mais la contrepartie, c’est de devoir laisser derrière soi ses proches, ses voisins, ses amis, sa propre histoire. C’est le sentiment d’avoir abandonné ceux qui sont restés tout en apparaissant comme un étranger aux yeux de ceux qui vivent dans cette « terre d’accueil ». C’est parfois – tout simplement – de trouver où aller !

 

 

 

Internet, un outil inégalable pour s'informer et s'unir

Si tout le monde était inquiet de se trouver exposé à la contamination radioactive, personne n’osait en parler, pas plus entre soi qu’avec les voisins. D’ailleurs, comment aurait-il pu en être autrement, compte tenu du manque total de connaissances de chacun à propos de la radioactivité et des moyens de s’en protéger ?​Beaucoup d’habitants des villages se résignèrent à rester calfeutrés chez eux, dans le vague espoir d’une aide extérieure. Mais certains se résolurent au bout d’un moment à partir à la recherche de connaissances et de conseils, conscients que c’était là le moyen de retrouver la maîtrise de leur vie quotidienne et, un jour peut-être, une vie « normale ». 

Ainsi certains habitants commencent à chercher sur Internet des informations pour essayer de mieux comprendre la situation. Une communauté virtuelle se crée par le biais d'internet et des réseaux sociaux. La rapidité avec laquelle s’établissent des échanges entre les résidents de Fukushima et les experts japonais en physique nucléaire et en radioprotection est un des aspects largement positifs des nouvelles technologies de communication. 

Parmi les informations accessibles sur internet, ils découvrent notamment un rapport de la Commission internationale de protection radiologique (CIPR) consacré aux expériences biélorusse et norvégienne consécutives à l'accident de Tchernobyl. Intitulée « Application des recommandations de la Commission à la protection des personnes vivant dans des territoires durablement contaminés à la suite d’un accident nucléaire », la Publication 111 de la CIPR fournit des orientations pour la protection des personnes concernées par une accident nucléaire. Bien qu’elle soit centrée sur la radioprotection, cette publication traite également de la complexité des situations post-accidentelles qui ne peuvent être gérées sans aborder tous les aspects de la vie quotidienne affectés : environnementaux, sanitaires, économiques, sociaux, psychologiques, culturels, éthiques, politiques…

La publication met l’accent sur l’implication directe des populations touchées et des professionnels locaux dans la réhabilitation des conditions de vie et la gestion de la situation. Elle souligne également la responsabilité des autorités nationales et locales de créer les conditions propices et de donner les moyens nécessaires à l’implication et à l’autonomisation de la population. Le rôle du suivi radiologique et sanitaire ainsi que la gestion de l’alimentation contaminée et des autres produits y sont abordés sous cet angle. Le rôle clé de la mesure afin d'évaluer les risques radiologiques associés à tous les aspects de la vie quotidienne et le débat autour des résultats avec d'autres citoyens « mesureurs » est notamment mis en avant. Il s'agit là d'une étape essentielle dans l'autonomisation des personnes et, à terme, le rétablissement de la situation.

S'inspirant du projet ETHOS, projet financé par la Commission européenne à la fin des années 1990 et qui visait à promouvoir une approche globale de la réhabilitation des conditions de vie dans les territoires contaminés de Biélorussie à la suite de l’accident de Tchernobyl, un blog collaboratif - ETHOS à Fukushima - est lancé.

Cette communauté virtuelle va ainsi se souder autour d’un objectif commun : contribuer activement à la réhabilitation des conditions de vie après l’accident de Fukushima. Ses membres seront des participants à  l'initiative des Dialogues de Fukushima qui va naître fin 2011.