Savoir et comprendre
Résumé
Autres cancers et effets non cancéreux après un accident nucléaire
18/01/2021
Risques de cancers pour les intervenants après un accident nucléaire
Accident de Tchernobyl
Le 26 avril 1986, le réacteur n° 4 de la centrale de Tchernobyl explose accidentellement lors de la réalisation d’un essai technique, provoquant un gigantesque incendie qui ne sera arrêté définitivement que treize jours plus tard.
Les 600 pompiers et personnels de la centrale qui interviennent le premier jour de l’accident reçoivent les doses de rayonnements ionisants les plus élevées : deux d’entre eux décèdent immédiatement de brûlures et 28 décèdent des suites de leur irradiation dans les quatre premiers mois qui suivent l’accident. Au total, un syndrome aigu d’irradiation (SAI) a été diagnostiqué chez 134 intervenants et pompiers. Parmi les survivants, une dégénérescence cutanée secondaire à des brûlures radiologiques et des cataractes sont les principales séquelles observées aujourd’hui.
Suite à l’accident, environ 530 000 personnes civiles et militaires, appelées « liquidateurs », ont participé à l'intervention d'urgence, au confinement et au nettoyage sur le site de Tchernobyl et dans les zones contaminées après l’accident. Environ 240 000 d’entre elles étaient présentes en 1986 et 1987, au moment où les doses étaient les plus élevées sur le site du réacteur et dans la zone environnante des 30 km. La dose efficace moyenne reçue par les liquidateurs entre 1986 et 1990, principalement due à une irradiation externe, est estimée à environ 120 mSv (UNSCEAR 2011), mais certains liquidateurs qui sont intervenus dans les premières semaines ont pu recevoir des doses supérieures à 1 Sv.
Des études s'appuyant sur une reconstruction individuelle détaillée de la dose reçue à la moelle osseuse ont montré une augmentation du risque de leucémie en fonction de la dose estimée chez les liquidateurs des pays baltes, de Biélorussie, de Russie et d’Ukraine, y compris pour la leucémie lymphoïde chronique généralement considérée comme non radio-induite (Kesminiene et al. 2008, Romanenko et al. 2008, Zablotska et al. 2013). En Ukraine, une augmentation de l'incidence du myélome multiple et du syndrome myélodysplasique a également été observée chez les liquidateurs par rapport à la population générale, mais ces résultats sont à considérer avec prudence car la dose n’a pas été prise en compte dans l’analyse (Bazyka et al. 2013).
Une question importante à la suite de l'accident de Tchernobyl était de savoir si l'exposition à l’iode 131 pouvait également entraîner un risque accru de cancer de la thyroïde chez les personnes exposées à l’âge adulte (Hatch et al. 2017). Des augmentations de l'incidence du cancer de la thyroïde ont été observées parmi les travailleurs russes (Ivanov et al. 2008) et baltes (Rahu et al. 2013), en particulier parmi ceux ayant travaillé dans les premiers mois après l'accident, lorsque l'exposition à l’iode radioactif pouvait se produire. Une étude sur les cohortes de liquidateurs biélorusses, russes et baltes (Kesminiene et al. 2012), utilisant une reconstruction de doses individuelles, a également trouvé une augmentation du risque de cancer de la thyroïde. Le risque était multiplié par 5 pour une dose de 1 Gy reçue à la thyroïde et cette augmentation ne pouvait s’expliquer uniquement par les campagnes de dépistage thyroïdien et l’attention accrue des professionnels de santé vis-à-vis de cette pathologie chez les liquidateurs.
Enfin, une augmentation de l'incidence des cancers solides liée à la dose chez les travailleurs russes figurant dans le registre national de Tchernobyl a été observée (Kashcheev et al. 2015). Bien que l'exhaustivité de l’identification des cas soit incertaine pour cette cohorte, cette observation est complétée par une augmentation similaire de la mortalité due aux cancers solides, un résultat pour lequel il n’y a pas de biais de surveillance possible. Le risque de cancers solides estimé est cohérent avec celui obtenu dans des études récentes sur les travailleurs de l'industrie nucléaire (Richardson et al. 2015) et compatible avec les extrapolations des études sur les survivants des bombardements atomiques d’Hiroshima et Nagasaki (Ozasa et al. 2012).
Accident de Fukushima Daiichi
En termes de conséquences sur la santé des travailleurs, l'accident de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi diffère de celui de Tchernobyl à bien des égards.
Environ 25 000 travailleurs ont été employés entre mars 2011 et octobre 2012 dans des opérations d’urgence et de remédiation sur le site de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. La dose efficace moyenne de ces travailleurs au cours des 19 premiers mois après l'accident était de l’ordre de 12 mSv, soit 10 fois moins que celle reçue par les liquidateurs de Tchernobyl. À Fukushima, 35 % des travailleurs ont reçu une dose totale de plus de 10 mSv sur cette période et 0,7 % une dose totale de plus de 100 mSv. La dose efficace maximale rapportée était de 679 mSv (UNSCEAR 2014). Aucun syndrome aigu d’irradiation ni de décès pouvant être attribué à une exposition aux rayonnements ionisants n'ont été observés parmi les travailleurs engagés dans des travaux d'urgence.
Étant donné que la majorité des travailleurs a été faiblement exposée, avec des doses efficaces inférieures à 10 mSv au cours de la première année, et que moins de 1 % des travailleurs a reçu une dose efficace de 100 mSv ou plus au cours de la première année, il est peu probable qu'une augmentation de l'incidence des cancers (cancers solides, leucémies) due aux rayonnements ionisants soit perceptible.
Un petit groupe de 13 travailleurs ayant reçu une dose absorbée à la thyroïde estimée entre 2 et 32 Gy, la possibilité de survenue d’un cancer de la thyroïde chez ces travailleurs ne peut être exclue ; toutefois, le nombre de travailleurs exposés à ces fortes doses absorbées à la thyroïde est probablement trop faible pour pouvoir discerner une incidence accrue de ce cancer. Les résultats provisoires d'une enquête impliquant des examens par ultrasons de la thyroïde de 627 travailleurs d'urgence avec une dose absorbée à la thyroïde supérieure à 100 mGy et de 1 437 travailleurs avec une dose plus faible à la thyroïde ne montrent aucune différence significative de l'incidence des pathologies thyroïdiennes entre les deux groupes (IAEA 2015).
Une étude de cohorte (Nuclear Emergency Workers Study) a été mise en place pour fournir une évaluation complète de la santé des travailleurs intervenus sur le site de Fukushima Daiichi après l’accident. Des informations sur la santé sont recueillies par le biais de questionnaires et d’échantillons biologiques (sang, urine) (Kitamura et al. 2018 ; Yasui 2016). Fin 2019, plus de 6 700 travailleurs avaient accepté de participer à cette étude.
Les pathologies non-cancéreuses pour les intervenants et les populations exposées
Pathologies cardiovasculaires et cérébrovasculaires
Les pathologies de l’appareil circulatoire associées à des expositions aux rayonnements ionisants sont principalement des cardiopathies ischémiques et des maladies cérébrovasculaires majoritairement causées par l'athérosclérose qui se caractérise par le dépôt d’une plaque essentiellement composée de lipides (athérome) sur la paroi des artères. À terme, ces plaques peuvent entrainer des lésions de la paroi artérielle (sclérose), conduire à l’obstruction du vaisseau ou encore se rompre, avec des conséquences telles qu’un infarctus aigu du myocarde ou un accident vasculaire cérébral.
En 2006, un risque accru de maladie cérébrovasculaire et de cardiopathie ischémique lié à la dose de rayonnements ionisants a été observé chez les liquidateurs russes (Ivanov et al. 2006), bien qu'aucune information n'ait été disponible pour tenir compte d'autres facteurs de risque de ces maladies. Le suivi épidémiologique de ces liquidateurs, basé sur le registre national de Tchernobyl, a été prolongé de 12 ans, jusqu'en 2012, confirmant l'augmentation de l’ordre de 50 % par Gy du risque de maladie cérébrovasculaire (Kashcheev et al. 2016) ; là encore, aucune information n'était disponible sur les autres facteurs de risque, à l’exception des maladies concomitantes telles que le diabète. Une étude sur les liquidateurs ukrainiens intervenus sur la période 1986-1987 a aussi révélé une augmentation du risque de maladies cardiovasculaires et cérébrovasculaires liée à la dose (Krasnikova et al. 2013, 2014). Cependant, ces résultats doivent être confirmés car on peut s'interroger sur l'exhaustivité et l'exactitude de l'enregistrement de ces maladies et des estimations de dose, et bien qu'un certain nombre de risques non liés aux rayonnements aient été identifiés, les facteurs de confusion n'ont pas été pris en compte, à l'exception de l'âge.
Une étude publiée en 2018 s’est intéressée au risque d’arythmie cardiaque chez des enfants vivant en territoires russes contaminés par les retombées de l’accident de Tchernobyl. Cette étude a été menée dans le cadre du programme de recherche EPICE (Evaluations des Pathologies Induites par le Césium), lancé par l’IRSN en 2009 en partenariat avec le centre de diagnostic clinique et biologique de la ville de Bryansk (Russie), pour répondre aux questionnements de scientifiques et d’associations quant aux conséquences sanitaires de l’accident de Tchernobyl sur les enfants.
Ainsi pendant quatre ans (2009-2013), environ 18 000 enfants âgés de 2 à 18 ans ont été suivis sur le plan cardiaque et radiologique : électrocardiogramme, échographie cardiaque et mesure de l’activité corporelle en césium 137. Pour certains enfants, un enregistrement des paramètres électriques cardiaques (Holter) a été effectué sur 24 heures, ainsi qu’un bilan des principaux marqueurs cardiaques plasmatiques. Une arythmie cardiaque a ainsi été diagnostiquée chez environ 2 500 enfants. La prévalence d’arythmie cardiaque n’était pas différente entre les enfants des territoires contaminés et ceux des territoires non contaminés. De plus, le risque d’arythmie cardiaque n’augmentait pas avec la contamination corporelle en césium 137 des enfants. Ainsi, cette étude n’a pas observé d’association entre la contamination par césium 137 et le risque d’arythmie cardiaque chez l’enfant (Jourdain et al. 2018).
Cataractes
Les cataractes sont la cause la plus fréquente de cécité dans le monde. L’exposition aux rayonnements ionisants du cristallin est un facteur de risque connu d’apparition de cataractes chez l’homme. Les autres facteurs de risque sont le vieillissement, la génétique (cataractes congénitales), l’exposition aux ultraviolets, le diabète, un indice de marque corporelle élevé, le tabagisme, la consommation d’alcool, l’utilisation prolongée de corticostéroïdes et les traumatismes oculaires.
Un risque accru de cataracte, en particulier d'opacité cristallinienne sous-capsulaire postérieure, a été rapporté dans une cohorte de liquidateurs ukrainiens (Worgul et al. 2007). Cependant, les études menées jusqu’à présent ne permettent pas de conclure quant à un risque de cataracte significativement plus élevé en raison de problèmes méthodologiques liés à l’analyse statistique des données.
Effets cognitifs et neurologiques
Il est désormais bien connu que des facteurs environnementaux et génétiques, des troubles psychiatriques, tels que la schizophrénie et la dépression, et l’utilisation de certains médicaments peuvent jouer un rôle sur l’apparition de troubles neurologiques, cognitifs et du vieillissement, tels que la maladie d’Alzheimer et les démences séniles.
L’étude des effets d’expositions à des rayonnements ionisants sur le développement neurologique et les fonctions cognitives a suscité au cours des dernières années un intérêt considérable. Cependant, la recherche dans ce domaine est encore rare.
Après l’accident de Tchernobyl, des études sur les liquidateurs ukrainiens exposés à une dose moyenne d'environ 100 mGy ont démontré une incidence accrue de dysfonctionnement cognitif, sans pour autant que la relation entre la nature des effets et la dose de rayonnement n’ait pu être établie de manière certaine (Loganovsky et al. 2008; Bazyka et al. 2018).
Une étude récente menée dans le cadre du projet européen CEREBRAD (Cognitive and Cerebrovascular Effects Induced by Low Dose Ionizing Radiation) auprès de 326 liquidateurs ukrainiens a montré une prévalence plus élevée de déficit cognitif et psychologique chez les travailleurs ayant reçu des doses supérieures à 100 mGy, en particulier chez ceux ayant reçu des doses supérieures à 500 mGy. Dans l'ensemble, cette étude suggère que le déficit cognitif chez l'homme, 25 à 30 ans après l'irradiation, pourrait être influencé par la dose et l'âge au moment de l'exposition.
Une augmentation des taux de pathologies neurologiques a également été observée dans un délai de 7 à 21 ans après l'exposition aux rayonnements ionisants dans une cohorte d’environ 40 000 personnes évacuées de la zone de Tchernobyl, en particulier 12 à 21 ans après l'exposition (Buzunov and Kapustynska 2018). Bien que les doses résultant d’une exposition externe et de la présence de radionucléides à vie longue soient relativement faibles, cette étude a montré une augmentation statistiquement significative de la survenue de pathologies neurologiques chez les individus présentant des doses thyroïdiennes élevées d’iode 131, comprises entre 300 et 750 mGy. Toutefois, des études supplémentaires sont nécessaires afin de confirmer une éventuelle association entre la dose thyroïdienne et le développement d'un déficit cognitif chez les personnes exposées aux rayonnements.
Impact sanitaire non radiologique d’un accident nucléaire, notamment dû à l’évacuation
Les problèmes de santé suite à un accident nucléaire ne se limitent pas aux conséquences de l’exposition aux rayonnements ionisants.
Suite à l’accident de Fukushima Daiichi, le problème majeur au cours des premiers mois a été l’impact sanitaire de l’évacuation de la population locale, en particulier parmi les personnes les plus vulnérables telles que les personnes âgées. En effet, divers problèmes sont apparus à moyen et long terme suite à ce changement de mode de vie à grande échelle : défaillances des infrastructures et des services médicaux, isolement social, perte de motivation dans la vie, conflits entre générations, perturbation du régime alimentaire, entraînant des diagnostics et une prise en charge des maladies plus tardifs, l’aggravation de maladies chroniques comme le diabète et des problèmes psychologiques. L’apparition ou l’aggravation de ces problèmes sont aujourd’hui attribués à un manque de soutien social et à des changements environnementaux plutôt qu’à la perception individuelle du risque lié à l’exposition aux rayonnements ionisants. La réorganisation des services de santé et la mise à disposition de ressources humaines et matérielles adéquates sont essentielles pour limiter les impacts négatifs sur la santé physique et mentale des populations touchées par un accident nucléaire (ICRP International Conference on Recovery After Nuclear Accidents. 2020).
Une prise en compte équilibrée de ces différents risques sanitaires interconnectés et la mise en œuvre de contre-mesures à long terme sont donc nécessaires pour faire face aux conséquences sanitaires d’un accident nucléaire.