Le projet CESAM
Dernière mise à jour en septembre 2018
Le projet CESAM (Code for European Severe Accident Management) visait à consolider le système logiciel ASTEC, référence européenne pour l'étude des accidents de fusion de cœur (qualifiés d'accidents graves) et de leur gestion, pour tous les types de réacteurs de génération II et III. CESAM a été lancé en avril 2013 dans le cadre du 7e Programme-cadre de recherche et développement (PCRD) de la Commission européenne et s'est achevé en mars 2017. Coordonné par GRS (Allemagne) avec une implication majeure de l'IRSN, ce projet a rassemblé 18 partenaires européens et un partenaire indien.
Contexte et objectifs
L'accident survenu à Fukushima-Daiichi en mars 2011, qui a conduit à la fusion de 3 réacteurs sur le même site, a confirmé qu'il était nécessaire de disposer d'outils à l'état de l'art des connaissances, et validés sur des données expérimentales, pour simuler numériquement les accidents de fusion de cœur sur des réacteurs nucléaires et contribuer ainsi à mieux évaluer les moyens de mitigation à mettre en œuvre pour en limiter les conséquences sur l'environnement. L'utilisation de ces outils en support des situations de crise repose notamment sur l'amélioration de leurs performances et leur couplage avec des outils de calcul de la dispersion de la radioactivité dans l'environnement. L'objectif du projet CESAM était de faire évoluer le système logiciel ASTEC de modélisation des accidents de fusion de cœur pour répondre à ces enjeux.
Déroulement
Le projet CESAM s'est inscrit dans la continuité du projet européen « SARNET Phase 2 » (7e PCRD) qui avait été coordonné par l'IRSN de 2009 à 2013 [ref-1]. Il a démarré avec la version V2.0 d'ASTEC et s'est poursuivi avec la version V2.1 à partir de 2015 [ref-2]. Les principales conclusions issues de ces travaux ont ainsi alimenté le projet CESAM, notamment la synthèse des validations réalisées par les partenaires SARNET avec ASTEC V2.0 ainsi que l'identification des limites d'applicabilité des modèles de dégradation du cœur d'ASTEC V2.0 à certains types de réacteurs refroidis à l'eau (autres que ceux à eau sous pression (REP)), principalement les réacteurs à eau bouillante (REB).
A noter que, en attendant que l'extension aux REB des modèles traitant de la phase de dégradation en cuve devienne disponible dans ASTEC V2.1, ASTEC V2.0 a pu être utilisé avec succès par l'IRSN, notamment dans le cadre du projet BSAF de l'OCDE, pour commencer à analyser dès 2012 les accidents ayant affecté les trois réacteurs accidentés de Fukushima-Daiichi, tous de type REB. Ces premières simulations ont ainsi permis de mieux comprendre le déroulement de ces accidents, en attendant de pouvoir dans un deuxième temps affiner les analyses en bénéficiant de nouveaux modèles spécifiquement adaptés aux REB.
Les modèles utilisés par le logiciel ASTEC V2.0 pour représenter les phénomènes qui se produisent lors d'un accident de fusion du cœur ont d'abord été analysés sous deux angles : à la lumière des connaissances sur les phénomènes prépondérants dans le déroulement de l'accident de Fukushima-Daiichi ; à l'aide des enseignements tirés de la validation de cette version avec des données issues d'environ 150 expériences (expériences analytiques et intégrales réalisées de par le monde dans une cinquantaine de dispositifs expérimentaux différents).
A partir de cette analyse, l'IRSN a fait évoluer ASTEC pour prendre en compte le renvoi d'eau tardif, la géométrie réelle d'un REB mais également pour améliorer la modélisation (voir ci-dessous) du transport des produits de fission (PF), du renoyage du cœur, de l'oxydation des gaines, du comportement du corium dans la cuve et hors de la cuve (ICB), du calcul du pH dans le puisard.
D'autre part, des jeux de données décrivant les caractéristiques génériques des principaux types de réacteurs nucléaires de 2e génération en fonctionnement en Europe ont été développés pour être utilisés avec la version V2.1. Ils ont été élaborés par les meilleurs experts de chacune des filières au sein du projet CESAM.
Enfin, ces divers jeux de données ASTEC de référence ont ensuite été utilisés par les partenaires pour réaliser des benchmarks avec d'autres logiciels de référence (comme MELCOR et MAAP) sur des applications réacteurs, en portant une attention particulière sur l'analyse des moyens de mitigation des accidents graves.
Résultats du projet [ref-3]
Le produit final essentiel est la nouvelle version majeure V2.1 d'ASTEC [ref-4]. Elle intègre des améliorations levant plusieurs verrous technologiques [ref-1] et confère à ASTEC la possibilité d'être utilisé pour plusieurs filières de réacteurs (applicabilité d'ASTEC étendue entre autres aux REB, aux réacteurs à eau lourde et, pour partie, aux piscines d'entreposage du combustible usé).
Parmi les évolutions les plus significatives en matière de fonctionnalités :
- la possibilité de simuler l'intégralité des séquences accidentelles mettant en jeu un renvoi d'eau tardif dans la cuve, et cela même si le cœur est déjà fortement dégradé ;
- la mise à disposition de nouveaux types d'objets (boîtiers internes, sous-canaux, barres de contrôle cruciformes) permettant de représenter la géométrie réelle des cœurs de REB. La possibilité de pouvoir désormais modéliser des cœurs non-axisymétriques intéresse également les réacteurs à eau lourde (REL) de type CANDU ;
- le traitement, désormais harmonisé, du transport et de la chimie des PF et des aérosols dans le circuit primaire et dans l'enceinte de confinement.
Parmi les évolutions les plus significatives en matière de modèles physiques :
- l'intégration d'un nouveau modèle de renoyage d'un cœur dégradé, spécifiquement conçu pour être applicable à des géométries de type milieu poreux ;
- l'amélioration du modèle d'oxydation des gaines en Zircaloy lorsqu'elles sont exposées à une atmosphère mixte air/vapeur, avec prise en compte notamment des phénomènes de nitruration ;
- l'amélioration des modèles de comportement du corium relocalisé dans le fond de cuve, avec notamment en ligne de mire l'enjeu de pouvoir mieux modéliser les conditions représentatives de transitoires pour lesquels un refroidissement externe de la cuve est mis en place (stratégie dite de rétention du corium en cuve ou "IVMR") ;
- l'intégration de nouveaux modèles de refroidissabilité du corium sous eau en phase d'interaction corium-béton (ICB), relatifs à l'éjection du corium et à l'imbibition ;
- l'intégration d'un modèle dédié de calcul du pH dans les puisards de l'enceinte ainsi que diverses améliorations des modèles de comportement physico-chimique de l'iode dans le circuit ainsi que dans l'enceinte.
Des progrès significatifs ont été réalisés au niveau des performances numériques pour réduire les temps de calcul et plus généralement accroître la fiabilité du logiciel.
L'extension du logiciel ASTEC à des applications de diagnostic en situation de crise a été réalisée par l'IRSN. Ces travaux ont été déclinés selon deux axes complémentaires. D'une part la version V2.1 a été couplée à des outils d'évaluation de la dispersion atmosphérique des rejets à l'extérieur de l'enceinte, d'autre part une méthode, basée sur la mise en œuvre de réseaux bayésiens, a été développée pour mettre au point des outils permettant de remonter aux scénarios possibles de relâchement de radioactivité à partir des mesures effectuées lors d'un accident.
Ces travaux se poursuivent désormais principalement au sein du projet européen FASTNET que l'IRSN coordonne dans le cadre du PCRD Horizon-2020.
Une fois intégrés dans la version V2.1, les nouveaux modèles physiques ont été validés par les partenaires du projet. Ces travaux de validation ont notamment concerné les problématiques suivantes :
- renoyage des cœurs dégradés ;
- rétention du corium en cuve en présence d'un circuit de refroidissement externe à la cuve ;
- refroidissabilité en phase ICB du corium et des débris relocalisés hors cuve ;
- mitigation du risque de combustion de l'hydrogène dans l'enceinte de confinement à l'aide de recombineurs ;
- piégeage des PF et des aérosols dans l'enceinte par barbotage ;
- efficacité des différents systèmes d'éventage/filtration mis en œuvre dans l'enceinte.
L'autre produit final essentiel du projet est la constitution d'une bibliothèque de jeux de données génériques décrivant les caractéristiques des principales filières de réacteurs nucléaires de 2e génération en fonctionnement en Europe. Ces jeux de données sont qualifiés de "génériques" au sens où ils modélisent chacun un type donné de réacteur mais pas une tranche en service en particulier. Ils peuvent donc être librement distribués à tous les organismes utilisant ASTEC (ils sont désormais inclus dans le package standard de livraison d'ASTEC V2.1), leur offrant ainsi une base idéale pour que chacun puisse les adapter à sa propre tranche nucléaire d'intérêt. Concrètement, la bibliothèque de jeux de données "génériques" issue du projet CESAM couvre quatre grandes familles de réacteur de 2e génération :
- deux types de REP de conception occidentale (REP de 900Mwe et 1300 MWe) ;
- deux types de REP de conception russe (VVER-440 et VVER-1000) ;
- un type de REB (REB de série 4 avec enceinte de type Mark I) ;
- un type de réacteur à eau lourde de type CANDU (REL 220 MWe).
Perspectives
Dans la continuité de CESAM, l'IRSN coordonne un nouveau projet baptisé ASCOM qui débute en octobre 2018 dans le cadre de la Technical Area 2 « Accidents Graves- SARNET » de l'association NUGENIA. Ce projet, qui a reçu fin 2017 le label NUGENIA, permettra de consolider les évolutions d'ASTEC réalisées durant le projet CESAM et de développer de nouvelles fonctionnalités au fil des besoins des partenaires. L'extension de la bibliothèque de jeux de données "génériques" sera par ailleurs poursuivie. Ces nouveaux jeux de données concerneront en priorité des réacteurs nucléaires de 3ème génération (AP1000, VVER-1200), et éventuellement les piscines de désactivation et les « Small Modular Reactors » (SMR).
Références
[1] J.P. Van Dorsselaere, A. Auvinen, D. Beraha, P. Chatelard, L.E. Herranz, C. Journeau, W. Klein-Hessling, I. Kljenak, A. Miassoedov, S. Paci, R. Zeyen, "Recent severe accidents research: Synthesis of the major outcomes from the SARNET network", Nuclear Engineering and Design, vol.291 (Sept.2015), p.19-34.
[2] P. Chatelard, S. Belon, L. Bosland, L. Carénini, O. Coindreau, F. Cousin, C. Marchetto, H. Nowack, L. Piar., "Main modelling features of the ASTEC V2.1 major version", Annals of Nuclear Energy, Vol.93 (July 2016), pp. 83–93.
[3] H. Nowack, P. Chatelard, L. Chailan, S. Hermsmeyer, V.H. Sanchez, L.E. Herranz, "CESAM– Code for European Severe Accident Management, EURATOM project on ASTEC improvement", Annals of Nuclear Energy, Volume 116, June 2018, Pages 128-136.
[4] L. Chailan, A. Bentaïb, P. Chatelard, "Overview of ASTEC code and models for Evaluation of Severe Accidents in Water Cooled Reactors", IAEA Technical Meeting on the Status and Evaluation of Severe Accident Simulation Codes for Water Cooled Reactors, Vienna (Austria), October, 9-12, 2017.
Dates : avril 2013-avril 2017
Financement : 3,6 millions d'euros (Euratom FP7-Fission)
Gesellschaft für Anlagen- und Reaktorsicherheit (GRS, Allemagne)
Karlsruher Institut für Technologie (KIT, Allemagne)
Centro de Investigaciones Energéticas, Medioambientales y Tecnológicas (Ciemat, Espagne)
Inžinierska výpočtová spoločnosť Trnava (Slovaquie)
Lietuvos energetikos institutas (Lituanie)
Nubiki Nuclear Safety Research Institute (Hongrie)
Université de Stuttgart (Ustutt, Allemagne)
Ruhr-Universität Bochum (Rub, Allemagne)
Institute for Nuclear Research and Nuclear Energy (INRNE, Bulgarie)
Institut Jozef Stefan (IJS, Slovénie)
Joint Research Centre - European Commission (JRC, Belgique)
Teknologian Tutkimuskeskus (VTT, Finlande)