Savoir et comprendre
Résumé
Ailleurs : 250 tokamaks à travers le monde
10/12/2012
Le terme de tokamak est en fait l'acronyme des termes russes « toroïdalnaïa kameras magnitnymi katushkami », que l'on peut traduire par « chambre toroïdale avec bobines magnétiques ». Ce sont en effet deux chercheurs russes qui, en 1968, sont parvenus à atteindre des niveaux de température et des temps de confinement du plasma – deux des paramètres essentiels de la fusion – jamais obtenus par le passé.
« ITER a largement bénéficié du retour d’expérience d’installations existantes », explique Joëlle Elbez-Uzan, responsable de la sûreté de l’installation à ITER Organization. « Chacune des expérimentations précédentes a résolu, un à un, différents défis rencontrés et ITER va intégrer l'ensemble des technologies mises au point. Par exemple, la technologie de la supraconductivité des bobines, qui a notamment été testée dans le tokamak français « Tore Supra » situé à Cadarache, en fonctionnement depuis 1988, a permis d'obtenir une intensité de champ magnétique élevée au centre du plasma. Le tokamak anglais JET, inauguré en 1984, et le tokamak américain TFTR, conçu dans les années 1980, ont, pour leur part, été les premiers à réaliser une fusion entre deutérium et tritium. »
Vue de l'enceinte plasma de Tore Supra, tokamak en exploitation depuis 1988, où a été testée la supraconductivité des bobines © Philippe Stroppa/CEA
D'autres tokamaks ont apporté leur pierre à ce projet international : KSTAR en Corée du Sud, qui a produit son premier plasma en 2002, EAST en Chine, qui a produit son premier plasma en 2006, SST-1 en Inde ou encore JT-60, au Japon, qui a notamment apporté des connaissances sur la physique du plasma et la manière de maintenir sa forme et sa stabilité, à l'écart des parois.
Un plasma plus productif qu'énergivore
« Dans le monde entier, les installations de fusion n'ont cessé de progresser. Le tokamak Tore Supra, du CEA/Cadarache, détient le record de durée d'un plasma avec 6 minutes et 30 secondes », poursuit Joëlle Elbez-Uzan.
« Le JT-60 japonais a atteint la valeur du triple produit de fusion – densité, température, temps de confinement – la plus élevée à ce jour. Aux Etats-Unis, des installations de fusion ont obtenu des températures de plusieurs centaines de millions de degrés Celsius.
Toutes ces prouesses ont permis à la science de la fusion de se rapprocher du « breakeven », qui correspond au moment où, dans une installation de fusion, un plasma libère au moins autant d'énergie qu'il en a reçu pour la produire. Le « breakeven » n'a jamais été atteint à ce jour.
Le record actuel est détenu par le JET, qui est parvenu à restituer sous forme d'énergie 70 % de la puissance qui lui avait été apportée. ITER devrait être le premier, en produisant 500 MW d'énergie pour 50 MW consommés. »
Et ensuite ?
Lorsque l'expérience scientifique ITER aura démontré la faisabilité de cette filière énergétique basée sur la fusion, il est prévu de créer, sur un site non encore déterminé, un prototype de centrale nommé DEMO. « Dans ITER, l'énergie produite n'est pas récupérée, poursuit Joëlle Elbez-Uzan. Dans DEMO, non seulement nous la récupérerons, mais nous testerons la capacité de ce prototype à s'autoalimenter en tritium. »
Le projet n'en est qu'à l'étude de faisabilité et à l’élaboration des plans. La première pierre ne devrait pas être posée avant 2060. Et la première centrale basée sur ce prototype pourrait voir le jour à la fin du siècle.
Interview - Benjamin Carreras : Combiner extrapolation empirique et modélisation
Benjamin Carreras est un physicien nucléaire américain, spécialiste de la physique du plasma. Il a travaillé dans le laboratoire de recherche pluridisciplinaire Oak Ridge National Laboratory, dépendant du ministère américain de l'Energie. Actuellement chercheur au sein de deux institutions espagnoles et professeur de physique à l'Université de Fairbanks (Alaska, Etats-Unis), il est aussi consultant pour l'IRSN sur le projet ITER. |
Quel est le plus grand défi technique lié au plasma ?
L'un des soucis majeurs concerne ce que l'on appelle les disruptions, c'est-à-dire l'apparition brutale d'instabilités du plasma. Dans les tests initiaux, avant la mise en œuvre d'éléments radioactifs, ITER va devoir acquérir une expérience sur la probabilité de ces disruptions et la manière d'en gérer les conséquences.
Comment prédire ces instabilités ?
Il existe des aspects du plasma à étudier sur ITER, dont nous n'avons pas encore une connaissance totale. Nos connaissances reposent sur des machines plus petites qui ne peuvent pas atteindre les températures auxquelles ITER va travailler. Nous ne disposons pas de bases théoriques suffisantes permettant de prédire ou de calculer les différents aspects de la disruption. Pour en évaluer les conséquences, il existe deux moyens : extrapoler à partir des données empiriques des tokamaks actuels ou modéliser le processus, aussi précisément que possible. Mais les deux approches ont des limites.
Pouvez-vous donner un exemple ?
Un problème important consiste à déterminer le temps le plus court mis par le courant pour s'effondrer durant une perturbation. Plus ce délai sera court, plus les conséquences de la disruption seront importantes. Il est donc primordial d'accroître l’analyse des données existantes et le niveau de modélisation de ces événements, en parvenant à des modèles tridimensionnels par exemple, et en même temps de rassembler autant d'informations que possible durant la première phase d'expérimentation pour tester les extrapolations empiriques déjà réalisées.