Les effets des faibles doses de rayonnements : comparaison du risque de cancer chez les travailleurs du nucléaire et les survivants des bombardements atomiques
Lancée en 2011, l'Etude internationale des travailleurs du nucléaire (INWORKS) vise à améliorer la connaissance des risques associés à une exposition chronique à de faibles doses de rayonnements ionisants. Dans un article paru dans la revue Radiation and Environmental Biophysics, le Laboratoire d'épidémiologie des rayonnements ionisants (LEPID) de l'IRSN apporte un complément utile en comparant les résultats d'INWORKS à ceux de à la Life Span Study, l'étude épidémiologique portant sur les survivants des bombardements de Hiroshima et Nagasaki, pour l'évaluation des risques radio-induits sur la santé.
Visite d'un expert IRSN à la centrale de Chooz A en phase finale de démantèlement. © Sophie BRANDSTROM/SIGNATURES
Des connaissances à améliorer
Le système de radioprotection vise à protéger les travailleurs, les patients et la population générale des effets indésirables des expositions aux rayonnements ionisants (RI) sur la santé. Ce système repose en particulier sur la connaissance de ces effets acquise grâce aux études épidémiologiques, notamment la Life Span Study (LSS), la cohorte des survivants japonais des bombardements atomiques d'Hiroshima et Nagasaki en 1945. Bien que très informative, la LSS présente des limites, du fait de la nature ponctuelle et brève (ou « flash ») de l'exposition des survivants aux RI qui ne reflète pas la nature des expositions professionnelles, répétées dans le temps sur plusieurs années ou dizaines d'années, ou les expositions environnementales chroniques sur la vie entière.
Dans ce contexte, une étude internationale dénommée INWORKS (pour International Nuclear Worker Study) a été mise en place en 2013, incluant trois cohortes de travailleurs de l'industrie nucléaire de France, Etats-Unis et Grande-Bretagne. L'IRSN participe à cette étude [1] coordonnée par le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) par le biais de la cohorte française des travailleurs du nucléaire constituée de plus de 59 000 travailleurs du CEA civil, d'Orano et d'EDF embauchés à partir des années 1950 et ayant porté un dosimètre passif. Les premiers résultats d'INWORKS, publiés en 2015, ont confirmé une augmentation du risque de cancer et de maladies de l'appareil circulatoire en fonction de la dose cumulée de RI dans cette population de plus de 308 000 travailleurs dont l'exposition professionnelle a été reconstituée individuellement sur l'ensemble de leur carrière.
Exposition aiguë ou expositions faibles et répétées : une comparaison des risques de cancer
L'un des objectifs d'INWORKS était de comparer les relations dites « dose-risque » (c'est-à-dire les relations entre la dose de RI reçue et le risque de décès par maladie chronique) observées chez les travailleurs avec celles observées dans la LSS, pour en évaluer la cohérence. Cependant, INWORKS et la LSS présentent des caractéristiques très différentes : INWORKS est principalement composée d'hommes exposés à l'âge adulte, tandis que la LSS inclut des personnes exposées à tous âges et une large proportion de femmes. Or, il est établi que le risque de cancer diffère selon que l'exposition a été reçue pendant l'enfance ou à l'âge adulte et selon le sexe.
Pour comparer les relations dose-risque de cancer entre INWORKS et la LSS, des sous-populations présentant les caractéristiques les plus proches possibles en termes d'âge à l'exposition, de sexe et de période de suivi ont été considérées. Ainsi, deux sous-cohortes de 259 360 travailleurs d'INWORKS et de 45 625 sujets de la LSS ont été formées, avec un âge moyen à l'exposition de 37,3 ans pour la LSS et 37,8 ans pour INWORKS (calculé en milieu de carrière pour cette dernière). Pour compenser la plus forte proportion de femmes dans la LSS (64 % contre 12 % dans INWORKS), une méthode de pondération statistique des observations de la LSS a été appliquée dans la modélisation des données. La dose moyenne au côlon utilisée dans l'estimation du risque de cancer solide était de 116 milliGray (mGy) dans la LSS et de 19 mGy cumulés pour INWORKS. De 1950 à 2003, 7 982 décès par cancers solides ont été observés dans la sous-cohorte de la LSS contre 16 279 dans la sous-cohorte d'INWORKS de 1950 à 2005.
L'analyse du risque de cancer solide a conclu à une très forte similitude des coefficients d'excès de risque entre les deux populations, avec une augmentation du risque de décès par cancer solide proportionnelle à la dose de RI, de 3 % pour 100 mGy dans les deux populations. De façon intéressante, en étudiant les relations dose-risque sur des intervalles de doses de plus en plus restreints (0—500 mGy, 0—300 mGy, 0—200 mGy, 0—100 mGy), on retrouve des coefficients de risque proches entre les deux sous-cohortes.
Les apports d'INWORKS pour la radioprotection
L'une des hypothèses du système actuel de radioprotection stipule que le risque de cancer induit par des expositions à faibles doses délivrées à faibles débits de dose (comme les expositions dans INWORKS) serait deux fois plus faible que le risque de cancer induit par des doses élevées délivrées à fort débit de dose (comme les expositions dans la LSS) : les observations ici n'étayent pas cette hypothèse pour des expositions à l'âge adulte puisque l'estimation du risque de cancer pour INWORKS est du même ordre de grandeur que pour la LSS, même sur des intervalles de doses restreints.
En conclusion, ce travail démontre la cohérence des estimations de risque de cancer en lien avec l'exposition aux RI dans des sous-cohortes de la LSS et d'INWORKS comparables en ce qui concerne l'âge à l'exposition et les périodes de suivi. La similitude des coefficients de risque présente un intérêt majeur, lorsque l'on considère qu'une de ces populations a été fortement exposée de façon ponctuelle aux RI, tandis que l'autre a reçu des expositions répétées à de faibles doses pendant plusieurs années. Ces observations suggèrent que des risques associés à différents types d'exposition puissent in fine être comparables pour des expositions à l'âge adulte. Enfin, ce travail confirme également que, l'augmentation de risque de cancer associé à des doses faibles est faible.
INWORKS possède des atouts qui en font un complément utile à la LSS et une ressource importante pour l'évaluation des risques radio-induits, en fournissant de nombreuses informations qui peuvent servir de base à la quantification du risque de cancer radio-induit dans la gamme des faibles doses. Les résultats d'INWORKS améliorent la compréhension des risques liés aux RI à faibles doses et faibles débits de dose et contribuent à la consolidation du système de radioprotection pour les situations d'expositions professionnelles et environnementales chroniques.
Pour aller plus loin
Découvrir les activités du LEPID
Note :
[1] Les partenaires d'INWORKS sont le CIRC, l'Université de Caroline du Nord (Etats-Unis), l'IRSN (France), le NIOSH (Etats-Unis), PHE (GB) et ISGlobal (Espagne).