Savoir et comprendre
Résumé
Le coût économique pour deux scénarios d’accident
03/03/2013
Pour construire ses évaluations, l’IRSN a estimé les conséquences de plusieurs types de scénarios d’accident sur un réacteur typique du parc français (900 MWe), entraînant des contaminations radiologiques plus ou moins graves. Les conséquences de ces scénarios ont été calculées avec des conditions météorologiques réalistes, ces dernières jouant un rôle majeur sur l’étendue des conséquences environnementales, comme l’accident de Fukushima l’a montré. Les études ainsi menées permettent d’estimer des valeurs du coût d’un accident - représentatives d’une gamme étendue d’accidents nucléaires majeurs avec rejets radioactifs.
Les études de l’IRSN indiquent qu’il est nécessaire de différencier deux grandes familles d’accidents nucléaires, toutes deux impliquant la fusion du cœur d’un réacteur français de production d’électricité, mais dont les conséquences sont d’une ampleur très différente.
Par convention de langage, l’accident dit « grave » comporte des rejets radioactifs importants, mais différés et partiellement filtrés, alors que l’accident dit « majeur » provoque des rejets massifs non filtrés. Au sein des deux familles, les rejets peuvent être plus ou moins importants, les conditions climatiques plus ou moins favorables, conduisant à des coûts plus ou moins importants.
Les chiffres sont calculés du point de vue de la France. Ils seraient différents du point de vue de la région concernée, et également différents du point de vue de l'Union européenne.
Le coût d’un accident grave
Selon les évaluations réalisées par l’IRSN, un accident grave représentatif engendrerait un coût global de quelque 120 milliards d'euros (avec une fourchette entre 50 et 240 milliards d'euros).
Il s’agit d’une catastrophe d’ampleur nationale : ces pertes représentent de l’ordre de 6 % du PIB français annuel (le PIB moyen d’une année en France est de l’ordre de 2000 milliards d’euros). Ces chiffres sont très supérieurs à ceux relatifs aux coûts d’accidents industriels majeurs comme celui du naufrage de l’Erica (1980), de l’explosion de l’usine AZF (2001), ou de l’incendie de la plateforme de forage BP dans le Golfe du Mexique (2011).
Pour ce type d’accident, les coûts purement « radiologiques » représenteraient moins de 20 % du total (coûts radiologiques hors-site, y compris la gestion des territoires contaminés). Le nombre de « réfugiés radiologiques » (personnes éloignées des territoires les plus contaminés) pourrait être de l’ordre de quelques milliers de personnes [1], une situation qu’un pays comme la France pourrait surmonter par un effort de solidarité.
Le caractère différé des rejets par rapport aux évènements initiateurs de l’accident permettrait la mise en place de mesures de protection des populations et des travailleurs sur le site. Les conséquences sanitaires pourraient être restreintes. Cependant, l’impact sur l’opinion publique serait élevé, nécessitant une capacité d’excellence en termes de communication publique et de gestion.
Le coût d’un accident majeur
Par comparaison, un accident majeur provoquerait une catastrophe de nature différente. Les coûts liés aux seules conséquences radiologiques pourraient s’élever à plus de 160 milliards d’euros, soit plus que le coût total d’un accident grave du type évoqué précédemment. L’ampleur de la contamination aurait pour conséquence de devoir prendre en charge un nombre de « réfugiés radiologiques », c’est-à-dire la population des zones d’exclusion qui aurait besoin d’être relogée définitivement, qui pourrait être de l’ordre de de 100 000 personnes [2].
Contrairement au cas précédent, les conséquences sanitaires pour la population directement imputables à l’exposition aux rayonnements ionisants pourraient être importantes. Les quantités de produits agricoles devant être éliminées seraient considérables. La gestion des territoires contaminés et des zones d’exclusion resterait un défi permanent durant de nombreuses années, et des pays voisins pourraient être également affectés par la contamination et par des soupçons sur leurs produits. Les effets psychologiques pourraient être importants. Au total, les conséquences radiologiques pourraient représenter jusqu’à 40% du coût total de l’accident.
Les autres coûts, plus diffus et répartis sur l’ensemble des activités du pays, pourraient être qualifiés « d’économiques ». Ils comprennent principalement les coûts d’image (par exemple la perte de revenus liés au tourisme, ou à la baisse des exportations de certains produits pourtant non contaminés) et les coûts liés à la production d’électricité. Les coûts d’image pourraient dépasser 160 milliards d’euros, soit autant que les coûts radiologiques. La couverture médiatique rendrait les problèmes d’image plus aigus dans l’immédiate après-crise, mais aussi chaque année aux dates anniversaires, entraînant la persistance des difficultés pour les activités économiques et humaines concernées et pour les revenus des personnes qui en vivent.
Au total, un accident majeur pourrait coûter plus de 430 milliards d’euros, soit plus de 20 % du PIB français annuel. Le pays serait durablement et fortement traumatisé, car deux impacts se combineraient : il faudrait faire face simultanément à des conséquences radiologiques sévères sur une partie du territoire, et à de lourdes pertes économiques, ainsi qu’à des conséquences internationales. L’Union Européenne serait affectée, et l’histoire garderait pendant longtemps la mémoire de la catastrophe.
Mieux connaître les coûts d'un accident pour mieux en maîtriser les conséquences
Bien entendu, ces évaluations très élevées du coût d’un accident nucléaire sont à mettre en regard de probabilités très faibles d’occurrence de tels évènements, grâce à la compétence des opérateurs dans les centrales nucléaires et à un effort permanent de maintien et d’amélioration de la sûreté des installations.
De manière générale l’intérêt de disposer de telles études n’est pas seulement de mieux connaître quel pourrait être le coût d’un tel type d’accident, mais aussi d’en tirer parti pour optimiser les modalités de gestion des risques. Comme l'explique Michèle Pappalardo, conseillère-maître à la Cour des comptes, « les coûts estimés des différents scénarios d’accidents nous ont permis de proposer des modalités de chiffrage d’un substitut à une assurance responsabilité civile des exploitants qui couvrirait ce coût. Les dernières estimations de l’IRSN permettent de préciser ces chiffrages qui donnent des ordres de grandeur utiles dans les réflexions sur le coût de production de l’électricité nucléaire. »
L’évaluation menée par l’IRSN de façon indépendante, dans le cadre d’une demande de l’Autorité de sûreté nucléaire en 2005, répond à ses missions d’expertise en sûreté nucléaire. « Les cas extrêmes sont fortement improbables, mais constituent des enjeux considérables pour la nation. Prendre en compte toute l’ampleur des phénomènes est nécessaire pour correctement ajuster les actions de prévention », conclut Patrick Momal.
Notes :
- Valeur médiane estimée de l’ordre de 3 500 personnes, entre 0 et 10 000 selon les sites et les météos plus ou moins favorables.
- Les zones d’exclusion sont ici considérées comme correspondant aux zones contaminées en césium 137 à des niveaux supérieurs à environ 500 kBq/m² (niveau retenu pour la définition des zones d’exclusion en Ukraine après l’accident de Tchernobyl). Les zones d’exclusion autour de la centrale de Fukushima-Daiichi, définies à partir d’un niveau admissible de dose, correspondent à des niveaux de radioactivité similaires. Le chiffre de 100 000 réfugiés correspond à la moyenne arrondie des calculs médians pour trois différents sites français.