Epidémiologie post-accidentelle
Dernière mise à jour en Février 2021
Contexte et objectifL'expérience acquise suite aux accidents de Tchernobyl en avril 1986 et de Fukushima-Daiichi en mars 2011 a montré la difficulté de réaliser des études épidémiologiques post-accidentelles répondant pourtant à une forte préoccupation du public. Les personnes présentes sur place ou dans le voisinage ont été plus ou moins fortement exposées aux rayonnements ionisants émis par les réacteurs nucléaires accidentés. La population environnante a été doublement exposée : par irradiation externe, lors des rejets atmosphériques puis par les dépôts formés au sol, et par contamination interne suite à l'inhalation d'aérosols et de particules fines et à la consommation d'aliments contaminés. Par rapport aux études en milieu professionnel ou médical, il est généralement plus difficile en situations post-accidentelles de disposer d'estimations individuelles précises de l'exposition.
L'accident de Tchernobyl a permis de mettre en évidence un excès de cancers de la thyroïde chez les individus des territoires contaminés qui étaient enfants ou adolescents lors de l'accident, et plus récemment, un excès de leucémies associé à la dose reçue par les liquidateurs. Cependant, la démonstration de ces effets a été longtemps controversée, en particulier en raison de questions sur la qualité des données. Par ailleurs, la survenue de pathologies telles que les cancers n'est pas la seule conséquence sanitaire d'un accident nucléaire. L'accident de Tchernobyl a également eu des effets sur la santé mentale des populations, notamment au travers des changements socio-économiques, liés à l'évacuation de villages et le relogement des habitants, à la perte de production agricole et forestière, et plus globalement à l'effondrement de l'Union Soviétique. Suite à l'accident de Fukushima, l'évacuation de la population locale a eu un impact sanitaire très important au cours des premiers mois, en particulier chez les personnes âgées (augmentation du risque de décès et de l'intolérance au glucose pouvant entraîner un diabète). La préparation à la réponse épidémiologique en cas d'accident nucléaire en France ou en Europe est donc nécessaire.
L'IRSN a mis en place le programme EPICE, signifiant Evaluation des Pathologies potentiellement Induites par une contamination chronique par le CEsium, en collaboration avec l'équipe médicale du Centre de diagnostic clinique et biologique de l'oblast de Bryansk (Russie). L'objectif de ce programme consistait à recenser les arythmies cardiaques chez les enfants âgés de 5 à 18 ans, évaluer leur niveau de contamination par le césium 137 et vérifier l'existence éventuelle d'une association entre la présence d'arythmies cardiaques et une contamination chronique par césium 137 via l'alimentation.
Il a été montré qu'entre 2009 et 2013 la prévalence des arythmies cardiaques estimées dans les territoires contaminés étaient significativement plus faible que dans les territoires non contaminés et qu'elle n'était pas plus élevée chez les enfants présentant une charge corporelle en césium 137. Par ailleurs, une analyse statistique approfondie n'a pas permis de mettre en évidence une quelconque association entre la présence d'arythmies cardiaques et le territoire ou la charge corporelle en césium 137 corps entier (Jourdain et al., 2018).
Le projet européen SHAMISEN, signifiant « Nuclear Emergency Situations, Improvement of Medical And Health Surveillance », a été mis en place en 2015 dans le cadre du programme européen OPERRA (Open Project for the European Radiation Research Area - FP7, grant agreement 604984) pour une durée de 18 mois. L'objectif de ce projet collaboratif était de faire un retour d'expérience des accidents de Tchernobyl, Fukushima et d'autres accidents nucléaires, puis d'élaborer des recommandations pour la surveillance médicale et sanitaire des populations touchées par de tels accidents passés et futurs.
Ce projet, coordonné par ISGlobal (Espagne), regroupait des chercheurs et des experts de santé publique de 18 organismes européens et japonais. Leurs expériences étaient complémentaires dans les domaines de la gestion des situations post-accidentelles, de la dosimétrie des rayonnements ionisants, de la radioprotection, de l'épidémiologie, du suivi médical, du dépistage, de la surveillance sanitaire, de l'économie de la santé, de l'éthique et de la sociologie.
Les 28 recommandations issues de ce projet sont regroupées selon 5 thématiques : l'évacuation des populations, la communication et la formation, l'estimation des doses de rayonnements ionisants, la surveillance médicale, et l'épidémiologie. Elles portent plus spécifiquement sur :
- la préparation au suivi dosimétrique, sanitaire et épidémiologique avant la survenue d'un accident nucléaire ;
- l'estimation des doses de radiations reçues ou susceptibles d'être reçues en appui à la réponse d'urgence, aux décisions d'évacuation, à la prise en charge clinique et au suivi à long terme des populations exposées ;
- l'évaluation du risque encouru par les populations et sa communication aux populations concernées ;
- la mise en place d'une surveillance sanitaire pertinente et, in fine, l'amélioration des conditions de vie des populations affectées.
Ces recommandations sont destinées aux autorités et aux organismes nationaux et internationaux responsables de la radioprotection des populations, ainsi qu'au public scientifique, médical ou non spécialisé.
Le dépistage du cancer de la thyroïde après un accident nucléaire a fait l'objet de recommandations d'un groupe d'experts international multidisciplinaire (dépistage, endocrinologie, cancérologie, médecine nucléaire, épidémiologie et dosimétrie), coordonné par le CIRC à la demande du Ministère de l'Environnement du Japon. Ce groupe d'experts appelé TM-NUC, signifiant Thyroid Monitoring after Nuclear Accidents, n'avait pas pour objectif d'évaluer les programmes de dépistage thyroïdien mis en œuvre après les accidents nucléaires passés, ni les recommandations relatives aux activités de surveillance sanitaire thyroïdienne actuellement en cours. Les deux principales recommandations de ce groupe d'experts étaient de : 1) ne pas dépister la thyroïde après un accident nucléaire, car les inconvénients dépassent les avantages au niveau de la population, et 2) envisager d'offrir un programme de surveillance thyroïdienne à long terme pour les personnes à haut risque (c'est-à-dire exposées à des doses élevées de radiation à la thyroïde in utero, pendant l'enfance ou l'adolescence) après un accident nucléaire (IARC 2018, Togawa 2018).
Financements : Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (France), Ministère de l'Environnement (Japon), Open Project for the European Radiation Research Area (Commission Européenne).
Références
- Jourdain JR, Landon G, Cléro E, Doroshchenko V, Silenok A, Kurnosova I, Butsenin A, Denjoy I, Franck D, Heuze JP, Gourmelon P. Exposure to ionizing radiation resulting from the Chernobyl fallout is not associated with childhood cardiac arrhythmia: population based study. BMJ Open 2018; 8:e019031.
- Oughton D, Albani V, Barquinero F, Chumak V, Cléro E, Crouail P, Fattibene P, Kesminiene A, Laurier D, Liutsko L, Ohba T, Ostroumova E, Pirard P, Rogel A, Sarukhan A, Schneider T, Tanigawa K, Tomkiv E, Vale L, Cardis E - on behalf of the SHAMISEN Consortium. Recommendations and procedures for preparedness and health surveillance of populations affected by a radiation accident. Published under Attribution Non-Commercial 4.0 International license (CC BY-NC4.0).
- Schüz J, Togawa K, Ahn HS, Auvinen A, Bauer AJ, Brito JP, Davies L, Kesminiene A, Laurier D, Ostroumova E, Pacini F, Reiners C, Shinkarev S, Thomas G, Tronko M, Vaccarella S, Carr Z, Ilbawi A, Shimura H, Cléro E, Franceschi S, Perez M, Sauvaget C.Thyroid health monitoring after nuclear accidents / IARC Expert Group on Thyroid Health Monitoring after Nuclear Accidents. IARC Technical Publication n°46. 2018: Lyon, France.
- Togawa K, Ahn H-S, Auvinen A, Bauer AJ, Brito JP, Davies L, Kesminiene A, Laurier D, Ostroumova E, Pacini F, Reiners C, Shinkarev S, Thomas G, Tronko M, Vaccarella S, Schüz J. Long-term strategies for thyroid health monitoring after nuclear accidents: recommendations by an Expert Group convened by the IARC. Lancet Oncol 2018; 19(10):1280-1282.