Savoir et comprendre
Résumé
Réacteur n°4 de la centrale de Tchernobyl : augmentation des valeurs mesurées par des compteurs neutroniques rapportée par le magazine Science le 5 mai 2021
23/04/2021
Un article du magazine Science du 5 mai 2021, citant l’« Institute for Safety Problems of Nuclear Power Plants (ISPNPP) » de Kiev, rapporte le fait que des capteurs installés dans le bâtiment du réacteur n°4 (accidenté) de la centrale de Tchernobyl mesurent un flux de neutrons augmentant lentement depuis 2016 dans quelques endroits du bâtiment. Notamment, le flux de neutrons associé au local n°305/2 aurait presque doublé dans cette période.
L’article souligne que le début de cette augmentation progressive de flux de neutrons coïncide avec la mise en place de l’arche métallique au-dessus du réacteur accidenté (en novembre 2016).
Depuis l’accident survenu le 26 avril 1986, le local 305/2 contient une grande quantité (plusieurs dizaines de tonnes) de combustible nucléaire irradié (uranium, plutonium…) mélangé intimement avec divers matériaux (zirconium, graphite, sable…), appelé corium, enfoui sous des débris de béton.
L’hypothèse avancée dans cet article pour cette augmentation de flux de neutrons est une augmentation du nombre de fissions se produisant dans le corium, liée à une évolution de ses caractéristiques neutroniques (en particulier sa « réactivité » qui est sa capacité à multiplier les neutrons via des réactions de fission en chaîne).
Des variations de mesures de flux de neutrons ont déjà été observées dans le réacteur n°4, notamment en juin 1990 après une période de fortes précipitations. Ce phénomène, qui était beaucoup plus important et rapide que celui constaté aujourd’hui, a été attribué aux infiltrations d’eau dans le bâtiment (le premier sarcophage du réacteur n’étant pas étanche). Une fois au contact du corium, l’eau a modifié les conditions de modération des neutrons. Pour mémoire, la modération des neutrons correspond à une diminution de leur énergie (cinétique), du fait de chocs successifs avec les atomes légers (hydrogène en particulier). Les neutrons ainsi ralentis génèrent plus de fissions. La présence d’eau peut donc entraîner une augmentation significative de la réactivité du milieu. A la suite de l’événement de 1990, l’exploitant a procédé à des aspersions régulières de zones du réacteur avec un matériau absorbant les neutrons (nitrate de gadolinium). Cela a eu pour effet de faire baisser les niveaux de flux de neutrons mesurés.
Toutefois, l’arche métallique mise en place en novembre 2016 écarte à présent la possibilité de nouvelles infiltrations d’eau. Aussi, l’augmentation constatée aujourd’hui a vraisemblablement une origine différente de celle de 1990.
Les données disponibles sont très limitées et les incertitudes nombreuses. En effet, les niveaux de rayonnement au niveau du local 305/2 empêchent de l’inspecter ou d’installer des moyens de mesures à proximité de celui-ci.
Sur le plan théorique, un asséchement du corium pourrait, dans certaines configurations, conduire à une augmentation de sa réactivité (cas où le corium serait initialement sur-modéré par exemple). Il se peut aussi que des modifications des conditions de diffusion des neutrons à l’intérieur des bâtiments (en dehors du corium), liées par exemple à l’assèchement d’une zone où de l’eau s’était accumulée en quantité significative, conduisent à une augmentation du flux de neutrons mesuré par les capteurs (sans modification significative de la réactivité du corium). Des modifications de la géométrie du corium, du fait de son vieillissement ou de son asséchement, pourraient également conduire à une évolution de sa réactivité. Aussi, il est très difficile en l’état des informations disponibles de se prononcer sur l’origine du phénomène.
A la poursuite de l’éventuelle augmentation de réactivité de la matière présente dans le local 305/2 est associé le risque d’un accident dit de criticité (réaction en chaine de fissions divergente). Sur ce point, des études passées, fondées sur des caractérisations du corium mais aussi l’augmentation du flux de neutrons de juin 1990, ont conclu à la possibilité d’un tel accident. Ce type d’accident se produit lorsque la réactivité du milieu fissile dépasse le seuil où, en moyenne, le nombre de neutrons produits est supérieur au nombre de neutrons disparaissant sans générer de fission. Le flux de neutrons va alors augmenter de manière exponentielle. Sur ce point, il est à noter que dans la configuration actuelle, le flux de neutrons mesuré évolue de manière lente et régulière.
Par ailleurs, l’augmentation du flux de neutrons lors d’un accident de criticité est limitée par des phénomènes physiques de contre-réactions (échauffement de l’eau et des matières fissiles, production de gaz de radiolyse …). Ainsi, si un tel accident conduit à une émission intense de rayonnements ionisants à son voisinage sur une période plus ou moins longue, il n’est pas envisageable qu’il conduise à des dégradations significatives de structures du bâtiment. Par ailleurs, les structures du bâtiment (murs…) limiteraient les conséquences de l’augmentation de rayonnement en dehors de celui-ci.
Pour rappel, une soixantaine d’accidents de criticité ont été recensés dans le monde depuis les années 50.
En tout état de cause, de manière générale, le risque de criticité est à prendre en compte dans la surveillance et les futures opérations de démantèlement qui seront menées dans le réacteur n°4 de Tchernobyl.
Dans un premier temps, selon l’article précité, l’ISPNPP a l'intention d'intensifier la surveillance des zones où le phénomène d’augmentation du flux de neutrons est constaté. Des robots pourraient être utilisés pour se rapprocher le plus possible de ces zones afin de mettre en place de nouveaux capteurs (neutrons, température…), voire introduire un matériau qui a la propriété d’absorber les neutrons pour écarter le risque d’accident de criticité. La possibilité de prélever de nouveaux échantillons représentatifs de l’état actuel du corium est également envisagée.
Pour aller plus loin : les risques de criticité