Savoir et comprendre
Résumé
Les territoires contaminés autour de Tchernobyl
21/04/2018
Suite à l'explosion, des débris de combustible nucléaire et des morceaux du réacteur sont projetés dans l’environnement proche de la centrale. Les poussières, les fines particules (aérosols) et les gaz radioactifs partent en altitude et forment un panache entraîné au gré des vents par les masses d’air, sur des grandes distances.
Dans la zone proche de la centrale, des dépôts plus ou moins importants de strontium 90, de plutonium etc. se constituent en fonction des trajectoires des panaches de rejet.
En Russie, en Biélorussie et en Ukraine, de vastes territoires sont contaminés de façon discontinue, avec des dépôts d’activité pouvant atteindre plusieurs centaines de milliers, voire dépasser le million de becquerels par mètre carré.
La contamination au voisinage de la centrale
Environ 135 000 habitants ont été évacués durant le printemps et l’été qui ont suivi l’accident. La population de la ville de Prypiat, quelques 50 000 habitants, située dans la zone la plus contaminée, à 2 km du réacteur accidenté, a été totalement évacuée 36 heures après l’accident. Depuis, cette ville est totalement abandonnée.
Poste de contrôle à l'entrée de la zone d'exclusion
Ville de Prypiat. Les 50 000 habitants furent évacués 24h après l'accident.
Après l’accident, une zone d’exclusion de 30 km de rayon autour du réacteur accidenté a été déclarée. Les personnes vivant dans cette zone ont été évacuées et l’activité agricole interdite. L’accès à cette zone est encore aujourd’hui contrôlé.
La contamination dans la zone d'exclusion
La contamination s’est répartie de manière irrégulière autour de la centrale, en fonction des trajectoires du panache radioactif et des pluies qui accentuent le dépôt. Des milliers de mesures réalisées par les instituts ukrainiens, russes et biélorusses ont permis de construire des cartes de contamination pour les différents radioéléments relâchés au cours de l’accident (Sr-90, Cs-137, Pu 239-238).
A partir de ces mesures, une seconde zone (rayon moyen de 10 km de rayon) a été définie qui inclut les territoires les plus contaminés. Dans ces territoires, situés à l’ouest et au nord du réacteur accidenté, la contamination du sol dépasse le million de Bq par km². 20 ans après l’accident, plus de 95 % de l’activité totale déposée est concentrée dans les quinze premiers centimètres de sol.
Les données recueillies dans le cadre de l'Initiative Franco-Allemande (IFA)
L’Initiative Franco-Allemande (IFA) a été lancée le 12 avril 1996 par les ministres de l’environnement de la France et de l’Allemagne pour établir une coopération avec la Biélorussie, la Russie et l’Ukraine afin de mieux comprendre les conséquences de l’accident de Tchernobyl dans ces pays et de disposer de données fiables auxquelles pourraient se référer les décideurs, les chercheurs et tous ceux concernés par l’accident. Les actions effectuées dans le cadre de l’IFA se sont déroulées de 1997 à 2004. L’institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) en France et la GRS, autorité allemande responsable du maintien et du développement de la sécurité des installations nucléaires en Allemagne, furent chargés de coordonner l’ensemble des actions de l’IFA.
L'objectif général du sous-projet 1 de l'IFA était l'analyse et la vérification des données sur la contamination de Tchernobyl, ainsi que la constitution de bases de données sur la contamination des sols et les conditions météorologiques pendant les retombées radioactives.
Tout d'abord, la chronologie de l'accident a été analysée du point de vue de la dynamique de rejet et de la contamination radioactive des territoires.
Les résultats des travaux de dix organisations de Russie, Biélorussie et Ukraine ont été pris en compte : bilan du contenu en radionucléides dans le cœur au moment de l'accident, dynamique du rejet et mesures de la radioactivité dans l'environnement proche (moins de 10 km). La combinaison de ces différentes données montre qu'environ 4% seulement du contenu du réacteur accidenté ont été relâchés dans l'environnement.
Dans ce cadre, les résultats des dépôts ont été rassemblés pour six régions des trois pays contaminés.
Reconstitution des dépôts radioactifs en Ukraine, Biélorussie et Russie
Les données sur la contamination des sols et la météorologie ont été utilisées par IBRAE (Institut Russe de Sûreté Nucléaire) pour la reconstituer la contamination initiale des sols (avec le modèle de dispersion atmosphérique "NOSTRADAMUS").
Les retombées radioactives totales calculées par le modèle sont proches des mesures de terrain. La valeur calculée des retombées de césium 137 s’élevait globalement à 8,6 PBq (note : 1 PBq = 1015 Bq), ce qui indique un niveau de cohérence d'environ 92 % avec les estimations des études sur le terrain.
Le niveau de contamination en césium 137 dans les localités varie entre 5 000 Bq/m² et 8 000 000 Bq/m². Malgré une concordance générale, la comparaison entre ces niveaux de contamination dans les localités et les isolignes des cartes de l’Atlas Européen des dépôts de césium publié par la Commission Européenne en 1998 a révélé ponctuellement certaines différences. Ceci provient du fait que, outre les données initiales validées par les autorités scientifiques de l'ex-URSS, dites "officielles", ayant servi à établir les cartes de l’Atlas européen, l'IFA a pris en compte de nouvelles données plus nombreuses rassemblées ultérieurement.
Les cartes de contaminations pour l'Ukraine ont été mises à jour en 1997 pour le césium 137 et le strontium 90 et en 2000 pour les différents isotopes du plutonium.
Études de l'IRSN dans la zone d'exclusion
A la fin des années 90, en collaboration avec les instituts ukrainiens de Radioécologie Agricole (UIAR) et des Géosciences (IGS), l’IRSN a développé une plate-forme expérimentale dans la zone de la forêt rousse, moins de trois kilomètres à l’ouest de la centrale accidentée de Tchernobyl. Cette plate-forme se compose d’un dispositif instrumental de suivi de la radioactivité dans les sols, la nappe superficielle et la végétation autour d’une tranchée de stockage de déchets.
La tranchée étudiée mesure environ 70 m de longueur pour 10 m de largeur et sa profondeur maximale est de 3 m. Elle contient un mélange hétérogène de sols très contaminés par des particules de combustible plus ou moins oxydées. Leurs activités en strontium 90 et en césium 137 atteignent plusieurs milliers de becquerels par gramme. La tranchée n’est pas équipée de barrière étanche (une simple couche de sol moins contaminé fait office de couverture) et les matériaux qu’elle contient sont donc soumis à l’action de l’eau d’infiltration.
Le dispositif instrumental comprend notamment un réseau d’une centaine de piézomètres implantés à l’aplomb et à proximité de la tranchée. Des prélèvements d’eau ont ainsi permis de mettre en évidence une contamination de la nappe superficielle par des radionucléides (en particulier par du strontium 90), de caractériser son extension spatiale et d’évaluer son évolution dans le temps. De plus, un jardin potager de 400 m2 avait été initialement aménagé pour l’étude des transferts sol-plante. Des espèces appartenant à chacune des quatre catégories de végétaux (céréales, légumes-feuilles, légumes-racines et légumes-fruits) y étaient cultivées, dans des parcelles réalisées à partir d’excavations sur 50 cm de profondeur.
La plate-forme expérimentale a été utilisée en support à plusieurs programmes de recherche visant :
- à caractériser les activités des déchets de la tranchée ;
- à étudier le comportement des radionucléides dans les sols ;
- à quantifier le transfert des radionucléides vers les sols, la nappe superficielle et la végétation ;
- à évaluer les performances de modèles de transfert.
Suite à l’accident de Fukushima, l’IRSN a réaffirmé sa volonté de travailler dans la zone d’exclusion de Tchernobyl et un accord avec cinq partenaires ukrainiens a été signé en 2013. L’ambition était de développer des outils prédictifs des transferts de radionucléides à l’échelle d’un territoire contaminé, dont la fiabilité puisse être mise à l’épreuve de données sur le terrain. Dans ce cadre, des travaux récents ont porté sur des méthodes d’estimation innovantes du terme source, sur la reconstruction de chroniques de mesure lacunaires, ou sur l’influence des phénomènes transitoires sur la migration des radionucléides.
Les déchets dans la zone d'exclusion
Au moment de l’accident, le réacteur contenait environ 190 tonnes de combustible nucléaire. Pendant, l’explosion ou après, une fraction correspondant grossièrement à 90 % du combustible a fondu dans le fond du bâtiment du réacteur ou s’est retrouvée aux divers niveaux des structures supérieures. Afin de confiner cette grande quantité de matières radioactives, un sarcophage a été construit autour du réacteur, dans les premiers mois qui suivirent l’accident.
Des débris de combustible ont étaient entraînés au loin sous forme de particules fines, contaminant fortement des matériaux de toute nature (sols, végétaux, béton…). Les matériaux les plus contaminés, ainsi que les équipements qui ont servi aux interventions durant l’accident, en particulier lors de la construction du sarcophage, ont été collectés. D’énormes volumes de déchets radioactifs ont ainsi été générés, qui ont été éliminés dans des décharges et des tranchées mal isolées de l'environnement.
Leur recensement a fait l’objet de travaux auxquels l’IRSN a pris part dans le cadre de l’Initiative Franco-Allemande pour Tchernobyl, l’IFA (voir Entreposages de déchets et stratégies de gestion des déchets). Ces travaux ont permis de rassembler, dans une base de données, les informations relatives aux stockages de déchets créés dans les territoires contaminés. Plus de 800 sites ont ainsi été créés, principalement dans la partie ukrainienne de la zone d’exclusion.
En 2006, moins de 50 % des sites d'entreposage pour les déchets de Tchernobyl avaient été étudiés. Il est par conséquent été impossible d'évaluer en totalité les volumes et le niveau de contamination de ces déchets.
Cimetière des hélicoptères utilisés dans les jours qui suivirent l’accident afin d’arrêter l’incendie. (© Patrick Landmann).
Cimetière des équipements contaminés utilisés pendant et après l’accident (© Patrick Landmann).