Savoir et comprendre
Résumé
Mieux informer le public grâce aux sciences sociales
19/05/2016
Source : Magazine Repères N° 29, avril 2016
Les sciences humaines peinent à s’imposer face aux « sciences dures ». Geneviève Baumont, de l’IRSN, et Tanja Perko, du Centre de recherche nucléaire belge (SCK-CEN), travaillent à modifier ce déséquilibre. Leurs analyses sont susceptibles d’éclairer les politiques publiques d’information et de changer le regard que les citoyens portent sur le nucléaire.
Tanja Perko | Geneviève Baumont |
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Tanja Perko est titulaire d’un PhD en sciences sociales, d’une maîtrise en sciences politiques et d’un Bachelor en journalisme. Elle est chef d’équipe dans le cadre du projet européen Prepare (en anglais). | Experte senior à l’IRSN, Geneviève Baumont développe des programmes éducatifs : exposition et ateliers de science citoyenne sur la radioactivité. Elle s’intéresse aux capacités de résilience après un accident nucléaire. |
En quoi consistent les recherches que vous menez dans le domaine de l’information sur les risques liés au nucléaire pour le public ?
Geneviève Baumont : Il est important de bien connaître le public auquel on s’adresse, de comprendre ses sentiments et ses opinions à propos de ceux qui diffusent les informations. Nous étudions comment ces dernières sont reçues et quels facteurs peuvent influencer leur perception. Ce domaine est en pleine mutation : les informations circulent d’abord sur internet et les réseaux sociaux, avant la radio et la télévision, en particulier chez les jeunes.
Tanja Perko : Aujourd’hui, la communication ne peut plus être à sens unique. Les gens veulent être associés aux décisions qui les concernent. C’est pourquoi il existe en France des Commissions Locales d’Information (CLI), identiques à celles que nous avons en Belgique, où les habitants vivant à proximité des centrales nucléaires sont consultés. La population participe et elle a aussi son mot à dire quant aux décisions liées aux risques radiologiques. Les recherches futures devraient donc prendre en considération la représentativité de ces citoyens actifs, analyser les motivations et assurer un équilibre entre la transparence et l’établissement d’un terrain sûr pour l’échange d’idées.
Vous avez comparé la perception du risque lié aux radiations ionisantes en France et en Belgique. Qu’avez-vous constaté ?
G. B. : L’enquête de l’IRSN et de SCK a été menée auprès d’échantillons représentatifs d’environ un millier de personnes dans chaque pays. Elle met surtout en évidence des points communs. De part et d’autre de la frontière, une grande majorité de la population se sent mal informée. Les citoyens des deux pays font confiance aux médecins et aux universitaires et se fient moins aux industriels et aux médias. Les Français se disent insatisfaits des informations fournies par les industriels. Plus de la moitié des personnes interrogées donnent des réponses fausses à des questions relatives à la radioactivité dans les aliments ou dans le corps humain. Des connaissances simples ne sont donc pas assez diffusées.
T. P. : L’étude commune portait sur les risques des rayonnements ionisants en général, liés aux radiations naturelles, à l’industrie nucléaire et aux usages médicaux. Nous avons examiné le niveau de satisfaction des citoyens ordinaires au sujet des informations diffusées sur les rayonnements ionisants par différents communicateurs en Belgique et en France. Nous nous sommes intéressés à l’impact potentiel de la perception du risque, à la confiance envers les autorités publiques ainsi qu’à la connaissance et à l’éducation.
Dans les deux pays, c’est la confiance accordée aux autorités qui forge la perception des risques plus que l’importance du risque lui-même. Contrairement aux prévisions, les connaissances générales sur les rayonnements ont un rôle limité. Une étude complémentaire sur un échantillon belge a mis en évidence que la crédibilité apparente et les compétences techniques influencent le niveau de satisfaction par rapport à l’information.
L’exposition médicale préoccupe-t-elle la population ?
T. P. : L’exposition médicale aux rayonnements ionisants ne représente pas un sujet de préoccupation majeure aux yeux des personnes interrogées. Pourtant, si on sait qu’un scanner vous expose à des doses significatives et que la Belgique est l’un des pays d’Europe où les doses liées aux usages médicaux sont les plus élevées, ces informations seraient d’une grande importance non seulement d’un point de vue scientifique, mais aussi pour que la personne soit en mesure de prendre des décisions éclairées. Ainsi, le patient pourra, à titre d’exemple, échanger avec son docteur sur un diagnostic ou demander si un autre examen diagnostic existe.
Autre exemple d’étude de perception : une étude belge a montré que lorsque des tablettes d’iode sont distribuées aux riverains des centrales nucléaires sans une plus grande implication citoyenne, les gens ne vont pas les chercher de la même manière que s’ils avaient été associés à la communication. Ou s’ils y vont, il est fort probable que, deux ans après, ils ne savent plus où ils les ont rangées. Or, cette démarche peut se faire lors d’un échange constructif. En écoutant les inquiétudes du public, en donnant une information contradictoire sans omettre les aspects négatifs, comme les allergies.
Travaillez-vous en relation avec les pouvoirs publics, les scientifiques et les acteurs du nucléaire ?
T. P. : De plus en plus. Une attention particulière doit être accordée aux questions sociales et éthiques, de même qu’à la participation des parties prenantes et des citoyens dans la science, la technologie et l’innovation. Lors de la première conférence Ricomet (Risk Perception, Communication and Ethics) sur les expositions aux radiations ionisantes, en juin 2015 en Slovénie, nous avons échangé avec les scientifiques.
Cette conférence a mis en exergue le fait que les recherches menées sur l’application des rayonnements dans des domaines tels que la médecine, l’industrie et l’énergie nucléaire, ainsi que la gestion des situations d’urgence, pourraient tirer profit de la gouvernance du risque nucléaire et de l’approche transdisciplinaire. En clair, d’un rapprochement entre sciences sociales et sciences "dures" ! Cela inclurait le fait de permettre aux citoyens de peser dans le choix de la politique relative à la recherche nucléaire en fixant les priorités et en apportant des valeurs. Nous appelons à l’intégration d’activités visant à élargir la prise en compte des aspects sociaux et éthiques lors des recherches de développement scientifiques et nucléaires.
À titre d’exemple, un laboratoire qui conçoit des équipements de protection pour les professionnels de santé doit anticiper la manière dont ils seront utilisés. Il doit savoir que même si on lui dit de ne pas s’exposer aux rayonnements, le personnel médical pourrait faire passer le confort de son patient avant sa propre sécurité. Seule une approche scientifique fondée sur les sciences sociales pourrait résoudre ce type de problématique.
G. B. : Les relations avec les pouvoirs publics seront au centre de la prochaine conférence Ricomet, à Bucarest (Roumanie) en juin 2016. Nous les avons invités, ainsi que les représentants des exploitants, pour leur exposer nos études, leur montrer ce qu’elles peuvent leur apporter. En retour, nous espérons mieux comprendre pourquoi ils sont parfois si frileux à s’ouvrir au public…