Savoir et comprendre
Résumé
Sismotectonique de la faille de la Moyenne Durance
21/05/2012
1. Géométrie
La cartographie de surface de la faille de la Moyenne Durance (FMD) est aujourd’hui bien connue (Cushing et al., 2008). Ce système de failles est composé d’une dizaine de segments dont les longueurs varient de 7,5 à 18 km. L’interprétation de nombreux profils géophysiques effectués par les industriels pétroliers et la localisation de la microsismicité mesurée par le réseau de sismomètres de l’IRSN a également permis d’imager sa géométrie en profondeur.
Depuis 2008, d’autres études (Le Pichon et al., 2010 ; Guyonnet-Benaize et al., 2015) fondées sur le retraitement et la réinterprétation des profils géophysiques disponibles ont permis d’apporter des élément complémentaires permettant d’affiner et de discuter la géométrie en 3 dimensions des différents segments de la FMD. En parallèle, des travaux fondés sur une analyse géomorphologique à haute résolution et des investigations géophysiques de sub-surface (sondages électriques, mesures du bruit sismique ambiant) ont permis de préciser dans le détail la position de certains segments de failles sur et autour de la faille de la Moyenne Durance ainsi que d’estimer la vitesse de glissement le long de la faille (Molliex, 2009 ; Thomas, 2018).
Les nombreux travaux montrent que cette faille affecte des sédiments quaternaires (moins de 2 millions d’années), attestant de son activité tectonique récente (Sébrier et al., 1997 ; Baize et al., 2002 ; ou voir la base nationale des Déformations récentes et paléoséismes sur le site Georisques, anciennement base NEOPAL ; ainsi que la base de données des failles potentiellement actives (BDFA)). Par ailleurs, Sébrier et al. (1997) décrivent sur cette faille un paléoséisme fort entre 26000 et 9000 ans, dans les environs de Manosque.
Figure 1 : Carte sismotectonique de la région Provence-Languedoc centrée sur la faille de la Moyenne Durance. La FMD a été notamment le siège des séismes de1509, 1708, 1813 et 1913. Sur le segment attenant de la faille de la Trévaresse, s’est produit le séisme de Lambesc le 11 juin 1909 (d’après Cushing et al., 2008).
Figure 2 : Modèle géologique de la FMD, construit à partir de l’interprétation de sections de sismique-réflexion industrielle traversant la trace de la faille (segments noirs). La faille affleurant en surface affecte les couches géologiques superficielles (jusqu’au Jurassique) et s’enracine probablement dans les séries du Trias. Cependant, la géologie régionale et les coupes sismiques présentées montrent clairement que la FMD est située à la verticale d’une faille d’étendue crustale affectant le socle ancien.
Légende des sections sismiques : (d’après Cushing et al. (2008)
- Rose : socle ancien (âge>250 millions d’années)
- Mauve : Trias (250-200 millions d’années)
- Bleu ciel : Jurassique (150-200 millions d’années)
- Vert : Crétacé (150-65 millions d’années)
- Orange : Oligocène (autour de 30 millions d’années)
- Jaune : Mio-Pliocène (moins de 10 millions d’années).
Figure 3 : Représentation en bloc diagramme de la structure de la FMD au Nord de Manosque. Le panneau horizontal gris et la flèche associée matérialise le transport vers le Sud du panneau de couverture sédimentaire, le rebord oriental de cette masse transportée coulisse par l’intermédiaire de la FMD le long du bloc du Plateau de Valensole. La contrainte maximale horizontale orientée dans une direction sub-méridienne permet la formation de plis dans la couverture sédimentaire du nord du Plateau de Valensole (Plis de Mirabeau et Lambruissier). À l’Est, les terrains sédimentaires des zones alpines viennent chevaucher les sédiments d’âge Quaternaire du Plateau de Valensole (Cushing et al. : article publié dans « Le Tremblement de terre de 1708 à Manosque, APS, 2014 »).
2. Sismicité
La microsismicité générée dans les environs de la FMD a pu être étudiée grâce à un réseau dense de sismomètres installés et maintenus par l’IRSN à partir de 1992 et jusqu’en 2006. L’IRSN a spécifiquement entrepris la conception et la mise en place de ce réseau de surveillance, sans équivalent en France, pour assurer le suivi de l'activité de cette faille active. L’objectif était de pouvoir localiser des secousses, même de faible niveau, avec une grande précision sur les différents segments de la faille (Volant et al., 2000). Trois stations accélérométrique de ce réseau sont toujours opérationnelles et sont intégrées au réseau accélérométrique permanent dont l’objectif est d’enregistrer les mouvements forts du sol en cas de séisme (https://rap.resif.fr).
En dehors de quelques petits agrégats périphériques, les hypocentres microsismiques sont relativement bien corrélés géographiquement avec la localisation des segments de faille en profondeur, en particulier à Manosque et dans le secteur Mirabeau-Beaumont-de-Pertuis. Une grande partie de la microsismicité se localise dans les couches géologiques les plus superficielles (au-dessus de 3 km de profondeur) au niveau des séries sédimentaires reposant sur le socle granitique ancien. Pour autant, une activité sismique est aussi enregistrée dans le socle, au-delà de 6 km de profondeur, principalement dans le panneau est-provençal (à l’est de la faille de la Moyenne Durance).
Figure 4 : Localisation des épicentres microsismiques (magnitudes Mw comprises entre 0 et 3) enregistrés entre 1999 et 2006, dans le secteur de la faille de la Moyenne Durance (segments noirs).
Les évènements ont pu être localisés précisément grâce au réseau d’instruments installé par l’IRSN (Durance Network).
La position en profondeur (foyer) de ces séismes est symbolisée par des cercles de couleur différentes :
- En rouge les séisme qui se sont produits dans le substratum ancien (appelé socle) situé sous la couverture sédimentaire d’âge secondaire et tertiaire.
- En jaune, les séismes proches de l’interface entre le substratum ancien et la série sédimentaire secondaire et tertiaire.
- En vert, les séismes les plus superficiels. (IRSN).
Si le séisme historique régional le plus important est celui de Lambesc (par ses effets et aussi ses caractéristiques physiques), il doit être rappelé que la vallée de la Moyenne Durance (autour de Manosque) a été le siège depuis au moins 500 ans d’une sismicité régulière dont les preuves sont répertoriées dans les archives historiques (SISFRANCE). Entre Saint-Paul-Les-Durance et Ganagobie, on répertorie ainsi 11 événements ayant causé des dommages aux bâtiments (intensité constatée supérieure ou égale à VI) les 13 décembre 1509, 2 septembre 1678, 14 août 1708 (une réplique importante le 20 août 1708), 20 mars 1812 (deux répliques importantes les 26 mars et 1er juin 1812), 7 mars 1835, 17 décembre 1858, 14 mai 1913, 30 septembre 1937. Les séismes les plus forts et les mieux documentés sont ceux de Manosque le 14 août 1708 (Quenet et al., 2004 ; Poursoulis et al., 2006) et de Beaumont-de-Pertuis le 20 mars 1812.
Plus récemment, quelques secousses ont été ressenties par la population. Malgré leur magnitude faible (de l’ordre de 3 en magnitude locale), elles ont été ressenties parfois fortement par la population, vraisemblablement à cause de leur faible profondeur. Ce fut le cas à Manosque le 8 juillet 2010 (lire la fiche d’information de l'IRSN), à Villeneuve le 19 septembre 2012 (lire la fiche d’information de l'IRSN) et près de Saint-Paul-Les-Durance le 9 mai 2018.
Par ailleurs, les géologues ont retrouvé dans les sédiments superficiels (datés de quelques dizaines à quelques centaines de milliers d’années) des preuves de séismes anciens le long du système de faille de la FMD, à La Brillane et à Valveranne en particulier (voir la base nationale des Déformations récentes et paléoséismes sur le site Georisques et les éléments de contexte sur le site du plan séisme, anciennement base de données NEOPAL). Ce dernier indice a été interprété par les géologues-auteurs (Sébrier et al., 1997) comme une preuve de paléoséisme, vieux de 26 000 à 9 000 ans et de magnitude d’environ 6,5. Cet avis a été partagé par le comité d'experts de NEOPAL. Par ailleurs, l’extrémité méridionale de la FMD est connectée à la faille active de la Trévaresse qui montre elle aussi des indices d’activité actuelle (séisme de 1909) et paléosismique . L'activité connue des failles provençales est synthétisée dans la base de données des failles potentiellement active (BDFA : http://bdfa.irsn.fr).
Figure 5 : Mosaïque de clichés de la tranchée de Valveranne (Photo IRSN), près de Manosque, et son interprétation par Ghafiri (1993) et Sébrier et al. (1997), associant le plissement des couches sédimentaires superficielles (couches rose et orange) à l’expression d’un mouvement tectonique en chevauchement (la partie droite passe sur la partie gauche) au niveau d’un segment de la FMD.
3. Cinématique de la faille et régime de déformation régionale
À partir des enregistrements sismiques, on peut déterminer le type de mécanisme associé à chaque séisme (mécanisme au foyer) : faille normale créée par étirement, faille inverse créée par raccourcissement ou décrochement créé par coulissage. Ce travail a pu être effectué grâce au réseau de l’IRSN, suffisamment dense et sensible pour recueillir des signaux sismiques issus de petits séismes.
À partir des 27 évènements les mieux renseignés entre 1999 et 2006, il est possible de montrer que la région est soumise à un raccourcissement moyen horizontal de direction NNW-SSE.
Figure 6 : Localisation des 59 évènements les mieux localisés autour de la FMD. Les couleurs des cercles indiquent les profondeurs par rapport au sommet du socle :
- noir : évènements à plus de 2 km sous le toit du socle ; - gris : évènements localisés à moins de 2 km au-dessous ou au-dessous du toit du socle ;
- blanc : évènements localisés à plus de 2 km au-dessus du toit du socle. Les lignes à tirets indiquent la profondeur du toit du socle. Les solutions focales ont pu être calculées pour 27 des 59 évènements ; les mécanismes au foyer associés sont représentés autour de la carte. D’après Cushing et al. (2008).
Les données géodésiques s’accordent pour l’essentiel avec les données sismologiques. L’axe de raccourcissement, calculé à partir des vitesses résiduelles (par rapport à l’Eurasie stable) de 4 sites GPS mesurés en continu depuis plusieurs années, montre une direction presque nord-sud, cohérente avec l’axe de raccourcissement déduit des mécanismes au foyer de la microsismicité. La géodésie donne une information supplémentaire : le taux de raccourcissement peut être évalué à environ 0,2 mm/an sur 100 km (Nocquet et al., 2007).
Figure 7 : Axe de raccourcissement dans la région du Luberon, déterminé à partir des données géodésiques de 4 sites GNSS (Global Navigation Satellite System) mesurant leur position en continu (CHRN : Chateaurenard; RSTL : Rustrel ; MICH : Saint-Michel l’Observatoire ; GINA : Ginasservis). Les données géodésiques à la base de ce calcul (Nocquet et al., 2007) sont disponibles sur le site RENAG. Les stations GPS de MICH et GINA ont été installées par l’IRSN.
4. Taux de glissement des failles
Le taux de glissement peut être évalué sur plusieurs durées d’observation, à court-terme à partir des données géodésiques, ou à long-terme à partir des données géologiques ou géomorphologiques. L’estimation des taux de glissement sur les failles, bien qu’emprunts de grandes incertitudes, est importante pour l’évaluation de l’aléa sismique puisqu’elle permet d’accéder à la période de retour des évènements sismiques. On peut constater, sur la base de nombreuses observations indépendantes que la vitesse de glissement le long de la faille est généralement comprise entre 0,01 et 0,1 mm/an.
Voici un tableau synthétique des valeurs référencées dans les publications traitant de la faille de la Moyenne Durance :
Source principale |
Type de marqueur et durée intégrée |
Localisation du marqueur | Taux de déformation (mm/an) |
---|---|---|---|
Benedicto,1996 | Décalage vertical de la base du Miocène depuis 10 Ma | Ganagobie | 0,08-0,14 |
Baroux, 2000 | Modélisation de l’évolution morphologique depuis 10 Ma | Pli de Manosque | 0,11 |
Hippolyte & Dumont, 2000 | Flexure post-6 Ma du chevauchement subalpin au dessus de la faille de la Durance | Valavoir | 0,1 |
Note IRSN inédite, 2005 | Décalage de la ria messinienne imagé par géophysique, depuis 5 Ma | Meyrargues |
Vertical : |
Thèse Molliex, 2009 | Décalage de la ria messinienne imagé par géophysique, depuis 5 Ma | Meyrargues | Vertical : 0,011-0,23 |
Thèse Molliex, 2009 | Décalage des vallons des affluents de la Durance dans le secteur de Corbières affectant la surface d’abandon du « Valensole II » (2 Ma) ou les anciennes terrasses quaternaires (800 ka) | Corbières | Horizontal : 0,05-0,07 Horizontal : 0,015 -0,045 Vertical : 0,030-0,046 |
Cushing et al., 1997 | Déplacement horizontal de thalwegs depuis 2 Ma | Manosque | 0,05-0,22 |
Ghafiri, 1995 |
Paléosismologie (tranchée) :
1 événement entre 25 et 9 ka
|
Manosque | 0,07-0,13 |
Nocquet et al., 2007 | Mesures GPS continues depuis 10 ans | Entre St-Michel-l’Obs. et Ginasservis | < 0,1 |